Promesses d’apaisement, d’épanouissement voire de guérison, les disciplines de développement personnel et pratiques de santé alternatives ont désormais pignon sur rue… et sur la toile ! Les réseaux sociaux offrent une formidable caisse de résonance à une nébuleuse de thérapeutes en herbe alimentant pseudo-sciences et croyances dans des communautés d’initiés en roue libre.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives, dont 60% parmi les malades du cancer ; il existe plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, on dénombre 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques » dans le domaine de la santé, 4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre (source : Miviludes).

Rirothérapie, urinothérapie, instinctothérapie… les méthodes miracles fleurissent. Les dégâts aussi, comme l’illustre le triste décès d’une femme de 44 ans pendant une cure de jeûne hydrique, l’été dernier. Parfois, la technique n’est pas dangereuse, mais le manque de maîtrise technique ou des croyances déviantes en déforment l’application.

Si les saisines dans le domaine des médecines complémentaires alternatives (MCA), sont en légère progression (412 en 2020 contre 395 en 2016), celles concernant la méditation, le yoga, et encore plus les pratiques alimentaires font un bond en 2020. « Le besoin de réponses face à un virus inconnu, anxiogène et l’isolement induit par la crise sanitaire ont aggravé le phénomène », observe Zineb Fahsi, professeur de yoga. « La quête d’options de renforcement du système immunitaire a constitué une porte d’entrée à des propos antiscience ».

Méditer pour augmenter sa fréquence vibratoire, manger d’une certaine manière et faire du yoga pour accroitre l’immunité, cultiver des pensées positives pour éviter le virus… « certains discours ont mis en jeu la santé de l’individu et celle du collectif », estime la professionnelle.

Yoga : ni guides spirituels, ni thérapeutes

Le phénomène

2,6 millions de pratiquants en 2019 en France, contre 1,8 millions en 2017 et plus de 1,5 millions de personnes qui seraient prêtes à se lancer selon une étude privée commandée par l’association et appli Union Sport Cycle. On comprend que le yoga aiguise les appétits et les prises de pouvoir. Donc les dérives.

L’avis des pros

Pour Zineb Fahsi, enseignante, diplômée en culture indienne, tout professeur de yoga doit rappeler à ses élèves qu’en France, ce métier s’est professionnalisé : « Contrairement à la traditionnelle relation guru-disciple indienne, nous ne sommes ni guides spirituels, ni thérapeutes ». Certains élèves arrivent dans des moments de vulnérabilité, en quête de refuge dans une discipline réputée relier à l’intériorité, parfois présentée comme thérapeutique, constate la cofondatrice du blog Citta Vritti.

D’où le transfert et les projections potentielles des élèves sur leur professeur. Ce dernier doit pouvoir accueillir cela en restant à sa place, quelques soient les demandes qui lui sont faites, encore moins en profiter. « La profession n’étant pas réglementée, n’importe qui peut être professeur demain, et former des enseignants après-demain », déplore Elodie Garamond, fondatrice des centres Tigre et présidente de l’Union des Professionnels du Yoga (UPY). L’association, en complicité avec différents syndicats du métier œuvrent auprès des Ministères de la Culture et des Sports pour créer un label de formation et un encadrement. Une formation de yoga devrait obligatoirement inclure, à terme, philosophie, histoire du yoga, anatomie, physiologie, adaptation des postures aux corps et bien sûr, éthique.

Leurs conseils pour se protéger

Elodie Garamond :

  • Vérifier la formation du professeur est légitime ! Idéalement, elle doit faire un minimum de 300 heures.
  • Le professeur doit rester à sa place d’enseignant. Il ne doit pas donner de conseils non sollicités, ni aborder les questions d’équilibre de vie, de couple, de religion. « Toutefois, ce sont souvent les élèves qui sont demandeurs », note la directrice, qui recommande de ne pas faire entrer l’enseignant dans sa sphère intime. « Consultez un psy ou autre interlocuteur professionnel si vous êtes en difficulté ».

Zineb Fahsi :

  • L’enseignant cherche-t-il à vous autonomiser, aussi bien du point de vue postural que spirituel et intellectuel ? Ou bien agit-il de manière à vous maintenir captif de ses conseils, de ses cours ?
  • Quand il tient un discours énergétique, prend-il la peine ou le temps, de préciser s’il s’agit de connaissances ou de croyances ?
  • En cas de doute sur son propos, interrogez-le et observez sa réponse. « Tu es trop dans ton mental, c’est la tradition »… sont des réponses suspectes. Halte à la culpabilisation, arme d’emprise psychologique majeure.

Hypnose : un outil supplémentaire, pas une profession

Le phénomène

Selon le Syndicat Français des Hypnothérapeutes, environ 6000 hypnothérapeutes exercent en France. Et les recherches portant sur la discipline ont bondi de 530% entre 2013 et 2016. Un engouement conforté par la profusion de vidéos sur YouTube, comme celles de l’Américain Michael Sealey (1,3 million d’abonnés au compteur), prises d’assaut pendant le confinement.

L’avis du pro

« Le terme apparait de plus en plus sur des cartes de visites de praticiens, entre les mentions thérapie alternative, massages et huiles essentielles« , note le docteur Jean-Marc Benhaiem, qui a fondé le premier diplôme universitaire (DU) d’hypnose à l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière en 2001. D’après lui, beaucoup de personnes se forment pour des motivations financières, car c’est un métier en vogue. « Un pseudo thérapeute aura l’impression d’être capable de soigner simplement parce qu’il a un bon fond ; or, cela ne suffit pas. Certains patients sont au bord du suicide. D’autres retrouvent des souvenirs traumatiques en cours de séance ou vivent des angoisses, des douleurs qu’il faut aller explorer médicalement. Que fait-on alors ? », prévient l’expert.

Autre risque : faire des suggestions inadaptées, qui perturberont davantage. Par ailleurs, les organismes de formation acceptent parfois n’importe qui dans leur cursus, pourvu qu’ils fassent du chiffre. « Les autorités s’accordent à dire que certains hypnothérapeutes sont dans l’exercice illégal de la médecine mais attendent les plaintes pour intervenir », regrette le médecin.

Ses conseils pour se protéger

Préférez un professionnel de santé formé à l’hypnose. « Demandez s’il a des connaissances médicales, s’il a déjà travaillé avec des malades », recommande Jean-Marc Benhaiem. Les hypnothérapeutes doivent être médecins, psychologues ou encore infirmiers (psychiatriques, spécialisés dans l’accompagnement des douleurs….) : la International Society of Hypnosis préconise que l’hypnose doit venir s’ajouter à un savoir préalable (dentiste, sage-femme). « C’est un outil supplémentaire, elle ne suffit pas à faire une profession ».

Méditation : apprendre à s’écouter et à se faire confiance

Le phénomène

Depuis la création de sa version moderne mâtinée de neuro-sciences dans années 1970, la pratique spirituelle venue d’Asie a conquis l’Occident qui lui prête désormais toutes les vertus. Une étude de 2014 a estimé à 100 millions de dollars les sommes investies dans la recherche sur la pleine conscience par l’Institut national pour la santé américain (Harrington, 2014). Aux Etats-Unis, la technique est adoptée par les plus grandes entreprises (GAFA, Wall Street) et mêmes les organismes publics. La France suit doucement le mouvement. Le yoga et la méditation en particulier ont suscité 160 signalements à la Miviludes en 2020, soit plus du double de 2017.

L’avis du pro

« Une approche juste est difficile à trouver car notre société a bâti une fiction autour de la méditation », estime Fabrice Midal, philosophe et éditeur, fondateur de l’École occidentale de méditation qui propose une approche laïcisée de la méditation bouddhique. L’auteur de La méditation pour les nuls (First) considère que les gourous, ayant désormais pignon sur rue, sont facilement repérables, mais regrette le flou qui cerne la pratique : techniques de gestion du stress pour être plus performant ou théories ésotériques ou carrément barrées, côtoient des pratiques solides, concrètes, qui ont montré leur bienfondé.

« Aujourd’hui, l’autre danger majeur pour moi est l’instrumentalisation de la méditation pour nous faire entrer dans des normes et nous écraser », nuance le philosophe. Dans les entreprises, on invite à méditer pour gérer un stress entièrement dû à un management inhumain et brutal. Ce sont aussi des déviations !

Ses conseils pour se protéger

  • Méfiez-vous des protocoles en un certain nombre de séances données, tout comme des pratiques qui seraient identiques pour tous : « on ne peut pas avoir la même approche de transmission face à un ado, un senior, une personne en burn-out car ils n’ont pas les mêmes besoins », s’indigne Fabrice Midal.
  • La méthode qu’on vous propose vous aide-t-elle à vous rencontrer telle que vous êtes, avec plus d’acceptation et de tendresse, ou bien vous met-elle face à un nouvel objectif que vous vous sentirez coupable de ne pas atteindre ? « Si, après une séance, vous vous sentez encore plus confuse, que vous vous en voulez de ne pas avoir lâcher prise, de ne pas avoir fait le vide dans votre tête, c’est que cette méthode ne vous convient pas, qu’elle est malsaine », déclare l’expert. Au contraire, si à la fin d’une session, vous êtes en paix avec vos propres limites, vos moments d’imperfection, et que vous apprenez à avoir de l’affection pour vous, alors vous êtes sur un chemin fécond.
  • Autre point de vigilance : sentez-vous bien la personne qui vous enseigne ? « Les gens se font avoir car ils ont l’impression de ne pas savoir et n’osent pas faire confiance à ce qu’ils ressentent », explique-t-il. Écoutez-vous !

Alimentation : se méfier des approches binaires et des techniques pour se purifier

Le phénomène

En France, les dérives alimentaires gagnent toujours plus de terrain. Le rapport de la Miviludes 2021 est éloquent : les saisines liées à ce domaine sont passés de 82 en 2019 (contre 65 en 2018) à 120 en 2020. La défiance à l’égard de la médecine classique et la vogue des théories complotistes sur les réseaux sociaux ne font qu’aggraver les choses.

L’avis de la pro 

Sophia Desbleds, naturopathe spécialisée dans le comportement alimentaire, le rapport à l’activité physique et la relation au corps, constate que de nombreuses théories alimentaires ne sont pas vérifiées scientifiquement. « J’ai appris beaucoup de choses formidables pendant ma formation (dans l’une des meilleures écoles d’Europe) mais aussi quelques bêtises », relate la thérapeute en alimentation intuitive qui épluche désormais les études et revues scientifiques.

La notion de détox par exemple, serait très liée à la quête de pureté propre à la religion. « Cette approche binaire est d’autant plus dangereuse chez les femmes, déjà inconsciemment soumises à la notion d’impureté des règles », dit-elle.

« Le jeûne intermittent est une aberration, surtout si on éprouve des signaux de faim le matin. Scientifiquement, rien n’a été prouvé à ce sujet, au même titre que pour le jeûne hydrique ». Ce dernier est d’autant plus dangereux pour les personnes malades ou ayant une santé fragile. Le corps est en effet déjà en état de stress, et le jeûne ne fait que renforcer cet état. De plus, la fonte musculaire quasi inévitable affaiblit l’organisme. Le jeûne n’est pas non plus une solution durable pour maigrir, ajoute Sophia Desbled.

Certes, se priver de nourriture va mécaniquement générer une perte de poids, mais au début seulement, car l’organisme va mettre en place des stratégies de compensation, qui auront pour conséquence directe une reprise rapide de poids, voire un regain de poids supérieur au poids précédent le jeûne. « Aucune étude n’a pour le moment réussi à démontrer que le jeûne était efficace pour maigrir, ni bénéfique pour la santé à long terme, ni pertinent pour détoxifier l’organisme ou purifier ses organes ou encore mettre son corps au repos », précise la naturopathe.

Ses conseils pour se protéger

Demandez-vous toujours si le mode alimentaire que l’on vous propose est tenable sans carences sur le long terme. Et méfiez-vous quand on vous parle purification du corps ! « Vos foie, reins, intestins, peau sont des outils naturels qui font parfaitement le job », souligne Sophia Desbleds.

Autre warning : la diabolisation de certains aliments, à commencer par le glucose. Une croyance collective récente explique que les envies de sucré seraient dictées par la candidose, une maladie intestinale. « Il n’y a pas d’épidémie de candidose (c’est une pathologie rare) et votre fringale vous indique peut-être simplement que votre organisme manque de glucose ». Mot d’ordre : mangez varié et assez !

Coaching : tout sauf un sauveur, ni un gourou

Le phénomène

Cette technique très en vogue aux Etats-Unis se développe en France depuis une vingtaine d’années. Réservée aux sportifs, puis aux entreprises et aux grands communicants, elle se démocratise en développement personnel ou professionnel. Le coaching pèserait environ 100 millions d’euros (source : Observatoire de la Franchise) pour près de 4600 coachs en exercice en 2020.

68% d’entre eux disposeraient d’un diplôme dans le domaine du coaching selon Orientactuel, le site sur l’orientation professionnelle. Aucune formation n’est obligatoire. Attention aux coachs auto proclamés !

L’avis de la pro

Gladys Pignide, coach professionnelle et formatrice à l’Ecole Supérieure de Coaching distingue deux écueils : le manque de déontologie, et le déficit de compétences. « Avant d’entamer une démarche, il est essentiel de se renseigner sur ce qu’est le coaching », éclaire-t-elle.

Ce n’est ni une psychothérapie (on ne s’appuie pas sur le pourquoi du passé, mais sur le comment atteindre un objectif), ni une formation (il n’y a pas de transfert de connaissance ou de compétence), ni du consulting, du conseil ou du bilan de compétences. Le coach intègre est tout sauf un sauveur, ni un gourou.

Il n’acceptera de vous accompagner que sur des objectifs réalistes, qui dépendent exclusivement de vous. La formatrice évoque aussi les dérives du côté de certains clients qui pensent que le coach va transformer leur vie, régler tous leurs problèmes, d’un coup de baguette magique. Le coach n’est qu’un accompagnateur, un révélateur de potentiel.

Ses conseils pour se protéger

  • Vérifiez son parcours, son expérience, la qualité de sa formation (minimum six mois) et sa spécialité : un coach d’évolution professionnelle n’est pas un coach de vie ou sportif.
  • Il est essentiel de se sentir en sécurité, à l’aise avec le coach. « On doit pouvoir tout lui dire sans se sentir jugé. Il n’est pas en position haute (celle de celui qui sait) et ne doit pas vous imposer son opinion », souligne Gladys Pignide.
  • Un coaching est programmé sur un temps déterminé. On sait quand il commence et quand il se termine (entre 10 et 12 séances, maximum 15), si le processus traîne, c’est un élément d’alerte.
  • S’il commence à vous donner des conseils, fuyez ! L’objectif est de vous donner autonomie, confiance et responsabilité sur votre vie, par l’action que vous allez développer.
  • Les tarifs très bas sont aussi un signe d’alerte.

En cas d’inquiétude pour un proche, contactez l’organisme Miviludes. Renseignements sur www.derives-sectes.gouv.fr