Discuter des abus sexuels avec son enfant reste le meilleur moyen de le protéger. Mais à quel âge peut-on aborder le sujet ? Dans quelles circonstances ? Comment ne pas l’effrayer ? Eléments de réponses avec des parents qui ont su trouver les mots.
Avec Dominique Fremy, pédopsychiatre et cheffe du pôle pédopsychiatrique de l’hôpital de Novillars (Bourgogne-Franche-Comté)
Le meilleur moyen de protéger votre enfant face aux violences sexuelles est d’en parler avec lui, de ne pas en faire un tabou et de lui faire prendre conscience qu’il a le droit de refuser certains gestes d’adultes. Spécialistes et parents reviennent sur la façon dont ils ont abordé le sujet avec leur petit, en fonction de leur âge.
Violences sexuelles envers les enfants : des chiffres épouvantables
L’association Mémoire traumatique et victimologie estime qu’en France, en évaluant le nombre de plaintes qui ne sont pas déposées par rapport aux nombres de personnes qui révèlent, une fois adultes, avoir été victimes d’abus sexuels, environ 165 000 enfants sont violés chaque année. Un chiffre effarant, sachant en plus que 51 % des enfants victimes de viols le sont avant 11 ans et 21 % avant 6 ans.
Parmi ces enfants victimes de viols, une majorité connaît son agresseur. Dans le podcast de Charlotte Pudlowski donnant la parole à des victimes d’inceste, « Ou peut-être une nuit », la journaliste rappelle les chiffres d’une enquête de 2015 de l’association internationale des victimes d’inceste : 4 millions de Français sont, ou ont été, victimes d’inceste et 7 à 10 % de la population française a déjà subi un viol intra-familial, dès l’âge de 9 ans.
Face à ces données alarmantes et à la libération progressive de la parole des victimes en France, on peut ressentir le besoin, en tant que parents, de questionner notre enfant et de s’assurer de son bien-être. Pour le protéger au mieux, il semble en tout cas indispensable d’en parler avec lui et de lui faire prendre conscience à la fois du danger que représente le comportement de certains adultes, ainsi que de son droit à être seul à jouir de son corps et à dire non aux autres.
Abus sexuels chez l’enfant ou entre enfants : définitions et lois
Un abus sexuel désigne toute contrainte (verbale, visuelle ou psychologique) ou tout contact physique, par lequel une personne se sert d’un(e) enfant (toute personne âgée de moins de 18 ans), en vue d’une stimulation sexuelle, la sienne ou celle d’une tierce personne.
L’inceste désigne toute relation sexuelle entre des personnes liées par un degré de parenté. Ce peut être entre deux adultes, entre un enfant et un adulte ou entre deux enfants : les violences sexuelles pouvant en effet être exercées sur un plus petit par un grand frère, un grand cousin…
Depuis la loi du 21 avril 2021, le crime de viol sur mineur de moins de 15 ans est puni de 20 ans de réclusion criminelle. Le crime de viol incestueux sur mineur de moins de 18 ans est puni de 20 ans de réclusion criminelle. Les délits d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans ou d’agression sexuelle incestueuse sur mineur de moins de 18 ans sont punis de 10 ans de prison et de 150 000 euros d’amende.
Les juges n’ont plus à établir, pour constater et punir un viol ou une agression sexuelle, de violence, contrainte, menace ou surprise. En effet, la question du consentement ne se pose plus en-dessous de 15 ans, ou de 18 ans en cas d’inceste. Il existe une clause excluant les situations où les mineurs ont moins de 5 ans d’écart d’âge, mais celle-ci ne concerne pas les situations d’inceste ou lorsqu’une absence de consentement peut être démontrée.
Le principe de prescription glissante
La loi du 21 avril 2021 introduit un principe de prescription glissante. Si la limite de la prescription reste fixée à 30 ans à compter de la majorité de la victime, soit lorsqu’elle a 48 ans, le délai de prescription peut désormais être allongé si la même personne viole ou agresse sexuellement par la suite un autre enfant. La prescription entre dans ce cas en vigueur 30 ans à compter de la majorité de la dernière victime
Sévices sexuels : à partir de quel âge en parler à notre petit ?
Dès le plus jeune âge, on peut dire à notre enfant, par exemple lorsqu’on lui fait un bisou, que tout le monde n’a pas le droit de lui en faire et qu’il doit nous le dire si d’autres personnes l’embrassent ou le touchent trop.
Vers 5 ou 6 ans, on peut commencer à lui apprendre la notion de respect de son propre corps. « Sans parler d’abus sexuels, vous pouvez évoquer les choses qui ne lui plaisent pas et auxquelles il a droit de dire non« , suggère la pédopsychiatre Dominique Fremy.
Vers 7 ou 8 ans, l’enfant acquiert un début d’autonomie. C’est l’âge auquel, par exemple, vous l’autorisez à rentrer de l’école tout seul. Profitez de cette grande étape pour lui donner – ou rappeler – les consignes de base : ne pas parler aux inconnus, ne pas accepter de se faire raccompagner en voiture par une personne qui n’a pas l’habitude de le faire avec ses parents, même si c’est un parent d’ami, etc.
Donnez-lui ce petit conseil : quand un adulte, connu ou inconnu, lui propose de l’emmener quelque part, il doit se poser trois questions :
- Ai-je vraiment envie de me retrouver seul(e) avec cette personne ?
- Est-ce que Papa ou Maman saura où je suis si je m’en vais avec cette personne ?
- Quelqu’un pourra-t-il me venir en aide si je suis en danger ?
Si l’une des trois réponses est non, on lui dit bien qu’il a le droit de refuser de suivre la personne en question !
Les abus sexuels envers mineurs s’accompagnent aussi d’une pression psychologique. Il peut arriver que la personne qui commet ces violences aient incité votre enfant à ne pas en parler au prétexte que ce soit « leur petit secret« . C’est pourquoi il peut être pertinent d’expliquer à votre enfant dès le plus jeune âge qu’il existe des bons et des mauvais secrets – les bons étant ceux qui le rendent heureux, comme l’organisation d’une fête surprise ou d’un goûter maison pour son grand frère ou sa grande soeur par exemple ; et les mauvais ceux qui le rendent malheureux, mal à l’aise, inquiets ou anxieux. Pour ces derniers, on lui dit bien qu’il a le droit de nous en parler.
Abus sexuels : la prévention au quotidien
Une seule mise en garde de votre enfant contre les personnes malveillantes ne suffit pas : il faut renouveler le message. Ne vous étonnez pas si votre progéniture connaît déjà les mots « viol » ou « pédophile » ! À la télé, à la récré… les enfants entendent bien plus parler des abus sexuels que ce que l’on imagine. « Une grosse discussion solennelle est utile, au risque de passer pour de vieux parents rabat-joie. Mais il faut absolument leur faire prendre conscience qu’eux, non plus, ne sont pas à l’abri« , conseille la pédopsychiatre Dominique Fremy.
« Mon fils de 7 ans a commencé à me poser des questions à un moment où l’on parlait beaucoup de procès de pédophilie aux infos« , raconte Hagalaz. La jeune maman a alors sauté sur l’occasion pour entamer une première discussion. La prévention doit être réactualisée en fonction de l’âge de l’enfant. Dès qu’il commence à surfer sur Internet, par exemple, on évoque les dangers des messageries instantanées et des sites communautaires. On installe un logiciel de contrôle parental et on lui donne quelques consignes, comme ne jamais donner ses coordonnées personnelles, ni accepter de rendez-vous avec une personne rencontrée sur le net, etc.
Pédophilie, viol, abus… quels termes employer ?
Bien souvent, ce ne sont pas les occasions qui manquent aux parents pour aborder le sujet, mais simplement les mots… Peu importe que ce soit Papa ou Maman qui aborde le sujet. Il faut avant tout que le parent soit à l’aise… « Allez au plus simple : utilisez les mots que vous employez d’habitude avec votre enfant« , conseille Dominique Fremy.
On peut lui expliquer ainsi, qu’un pédophile est une personne d’apparence gentille, qui va tenter de le mettre en confiance. Puis, qui va profiter de la situation pour lui toucher la « nénette », le « zizi » ou les fesses. Bien entendu, insistez sur le fait que PERSONNE n’a le droit de faire ça, pas même vous, ses parents. « Vous vous rendrez vite compte qu’on touche très vite les limites de la prévention« , regrette la spécialiste. 80 à 90 % des abus sexuels sont, en effet, commis par un proche. Mettre en garde son enfant contre des personnes qui sont censés l’aimer, et en qui il a confiance, est très compliqué mais indispensable.
Comment savoir si notre enfant a été victime d’abus sexuels ou d’attouchements ?
La pédopsychiatre Dominique Fremy reçoit de nombreux enfants victimes d’abus sexuels. Elle lance un appel aux parents : « Restez attentifs au moindre changement d’attitude de votre enfant !Un enfant triste, qui s’isole, se désinvestit à l’école, se remet à faire pipi au lit ou à parler comme un bébé, va mal. » Attention : cela ne signifie pas, fort heureusement, qu’il a été victime d’abus sexuels ! Mais il éprouve un mal-être qu’il faut à tout prix évacuer…
La solution : établir un dialogue, lui expliquer que vous vous faites du souci pour lui et le laisser dire ce qui ne va pas. Si vous lui apportez la réponse sur un plateau, qui n’est peut-être pas la bonne (ex : « c’est à cause du divorce que ça ne va pas, c’est ça ? »), l’enfant va se fermer. Souvent les victimes de pédophilie hésitent à se confier à leurs parents pour plusieurs raisons : la peur de se faire disputer (« Maman m’avait prévenu de ne pas faire confiance », la personne qui commet les sévices lui a fait promettre de ne pas en parler sous peine d’avoir de gros ennuis…) ou celle qu’on ne le croit pas. Faites lui savoir qu’il peut tout vous dire et que votre intention est de l’aider à aller mieux.
En tant qu’adulte, essayons de garder notre calme, notre tête froide et de le laisser parler tant que cela est possible pour lui. Rassurons notre enfant, insistons sur le fait que ce n’est pas sa faute et qu’on le croit. Il est relativement fréquent qu’un enfant qui a confié être victime d’abus sexuels rentre ensuite dans une forme de déni et revienne sur ses précédents propos. Cela ne doit pas vous faire douter de la parole de votre enfant et arrêter vos démarches : lui faire rencontrer un ou une pédopsychiatre, effectuer des examens médicaux, déposer plainte… Il est primordial pour lui que vous entendiez ses propos et que vous ne le décrédibilisiez pas.
N’hésitez pas à demander à être vous aussi entourés en tant que parents, notamment par des associations.
Elles ont su trouver les mots
« Avec ma fille de 3 ans, je n’emploie pas encore le mot « pédophilie », mais je lui explique qu’il existe de « méchants messieurs et de méchantes dames ». Je lui rappelle souvent que personne n’a le droit de lui faire des bisous ou des caresses, surtout dans des endroits intimes, même pas nous, ses parents, ses grands-parents ou d’autres personnes qu’elle connaît. D’ailleurs, elle a bien compris que si cela venait à se produire, elle a le droit de crier, de taper, de mordre et nous le dire ! » – Mélanie
« J’ai expliqué à mon fils que certains adultes faisaient des choses horribles aux petits, sans entrer dans des détails sordides. Je lui rabâche régulièrement (à chaque fois qu’il va chez un grand-parent, qu’il fait une sortie, etc.) que si quelque chose le dérange dans le comportement d’une personne, il doit absolument le dire à maman ou papa. A 7 ans, il n’a aucune notion du danger et pourrait se laisser avoir pour une poignée de bonbons… » – Hagalaz