Des médecins s’alarment du développement en France d’une méthode de "communication facilitée" (CF) qui assure aider des personnes privées de parole à s’exprimer et une information judiciaire vient d’être ouverte en Bretagne.
Le parquet de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor) a ouvert le 13 septembre une information judiciaire contre X pour escroquerie au préjudice de personnes particulièrement vulnérables et exercice illégal de la médecine, après la dénonciation par des médecins de l’utilisation de la CF dans le foyer pour handicapés Ker Spi à Plérin, a-t-on appris de source judiciaire.
Le conseil national de l’Ordre des médecins a émis en février 2004 "les plus grandes réserves sur l’intérêt scientifique" de la CF. La Haute autorité de santé indique n’avoir procédé à aucune évaluation.
"Nous sommes très vigilants, tout ce qui n’est pas validé scientifiquement est susceptible de dérives", déclare le secrétaire général de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), Gilles Bottine.
Née en Australie dans les années 1980 et importée en France par une orthophoniste, Anne Marguerite Vexiau, la CF vise à permettre à des handicapés –autistes, trisomiques, polyhandicapés ou traumatisés crâniens– de s’exprimer sur un clavier avec l’aide d’un "facilitant" qui leur soutient la
main.
"Je travaille depuis 25 ans avec des enfants handicapés, je peux apporter des centaines de témoignages de parents pour qui la vie est transformée depuis qu’ils peuvent communiquer avec leurs enfants", déclare Mme Vexiau.
Mme Vexiau a aussi développé la "psychophanie", une application de la CF aux personnes valides "un processus relationnel de communication qui révèle l’être profond" selon son site, intitulé "Ta main pour parler". Elle assure souhaiter une évaluation de la CF "avec des tests adaptés" et avoir déjà 1.850 signatures pour soutenir sa demande.
Le directeur de Ker Spi, Pierre Hérissard, et le président de l’association gestionnaire du foyer, Jean Lucas, tiennent à signaler que la CF "ne leur a donné que des satisfactions". "Il ne s’agit pas de bâillonner ceux qui n’ont pas la chance de se faire entendre", explique Luc Cavé, président de l’Association des médecins rééducateurs hospitaliers de Bretagne. "Mais il en va d’un élémentaire
principe de précaution, nous sommes opposés à la pratique d’une méthode qui n’a reçu à notre connaissance aucune validation scientifique ou médicale".
La CF "comme toute méthode non cadrée est susceptible d’exposer des personnes vulnérables à des abus, avec des conséquences particulièrement préjudiciables pour leur entourage", ajoute-t-il.
"On n’a pas le droit en tant que médecin d’appliquer des méthodes non éprouvées", renchérit le professeur Régine Brissot, spécialiste de médecine physique et réadaptation au CHU de Rennes. Cette technique "abuse de la confiance des personnes en situation de faiblesse et de souffrance" et
"s’apparente à une technique de manipulation physique et mentale".
Le tribunal correctionnel de Paris vient de relaxer l’hebdomadaire Charlie Hebdo qui avait critiqué la CF dans un article publié le 17 décembre 2003. "Non seulement, c’est une grotesque charlatanerie mais, en plus, elle est remboursée par la Sécurité sociale", écrivait l’hebdomadaire, qui avait été poursuivi par Mme Vexiau.
Par Laurence CHABERT PARIS, 12 oct 2005 (AFP)