Alors que quatre français sur dix ont recours aux médecines dites douces ou alternatives, l’ancien magistrat dénonce, dans un essai, l’infiltration des communautés pseudo-thérapeutiques par les sectes. Un véritable cri d’alarme, d’autant plus justifié selon lui que gouvernants et parlementaires ont tendance à baisser la garde.
Plus que les sectes, ce sont leurs moyens de recrutement qui vous inquiètent. Pourquoi ?
Il faut savoir que 40 % des signalements fait à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) portent sur des questions de santé. Il convient donc d’être très vigilant, d’autant que les organisations sectaires ont des moyens fantastiques d’infiltration et de connexion à la population grâce à internet. Par exemple, si vous tapez le mot « cancer » sur internet, les sites officiels arrivent en troisième position. Vous aurez d’abord toutes les offres pseudo-thérapeutiques et alternatives à la médecine conventionnelle. Il y a une grande habileté des milieux sectaires et des charlatans à utiliser la toile avec des renvois, des liens et des forums de discussion. C’est très professionnalisé.
Comment expliquez-vous cet engouement des Français pour ces pratiques non reconnues scientifiquement ?
Cela ne date pas d’aujourd’hui ! C’est une lame de fond qui nous vient des États-Unis depuis le mouvement New Age des années 60. On ne peut pas en vouloir à des gens qui souffrent de pathologies de vouloir tenter le tout pour le tout. Mais les faits d’actualité contemporains qui expliquent cet engouement et qui se traduisent par une déconsidération de la médecine conventionnelle sont d’abord les grands scandales sanitaires, comme le sang contaminé ou le Médiator. Il y a aussi le fait que la médecine a trop longtemps considéré le patient comme un malade « organique », sans le considérer dans sa personnalité totale. Les pseudos thérapeutes ont parfaitement compris cela, mettant au point des techniques qui prennent en compte la souffrance psychologique, comme la thérapie holistique. Parmi tous ces thérapeutes, il y a des gens convaincus de leur technique, sans toutefois jamais être en mesure d’apporter la moindre preuve de leur efficacité, mais il y a aussi de véritables escrocs.
Votre livre, qui repose sur de nombreux témoignages, ne fait-il pas avant tout le procès des médecines « douces » et « alternatives » ?
Pour éviter cette critique, que je comprends, je rappelle que le soin c’est la liberté. La loi Kouchner fait que chacun se soigne ou ne se soigne pas, et peut se laisser mourir. Mais la santé aujourd’hui n’est plus perçue uniquement comme l’absence de maladie. C’est aussi se développer soi-même dans ses performances, dans son bien-être, dans son travail, dans son environnement. Il existe ainsi des techniques d’appoint réconfortantes pour un certain nombre de malades, comme par exemple le reïki. Cela fonctionne comme l’effet placébo. Je ne demande donc aucune interdiction, mais je veux alerter et sensibiliser sur un certain nombre de pratiques particulièrement dangereuses qui sont derrière les médecines douces ou parallèles. Je cite le cas absolument dramatique d’une femme traitée par des médecins appartenant au mouvement du Graal (mouvement se fondant sur les enseignements de l’ouvrage « Dans la lumière de vérité », de l’écrivain allemand Oskar Ernst Bernardt), qui a rompu le protocole de sa chimiothérapie et qui en est morte.
Selon vous, le coaching personnel est également un terrain favorable à l’enrôlement ?
Complètement ! Encore une fois, je ne critique pas le coaching mais il y a, dans ce domaine, quelques aigrefins qui savent parfaitement utiliser le vecteur de la formation professionnelle, sous couvert notamment de développement personnel. Au dernier recensement, la Miviludes considère que sur 60 000 organismes homologués, il y a environ 4 000 organismes qui sont des faux nez de sectes identifiées !
Vous iriez jusqu’à dire que le milieu du coaching personnel est truffé d’arnaqueurs ?
Oui. D’arnaqueurs de bonne et mauvaise foi, qui veulent rendre l’individu meilleur. C’est très anglo-saxon comme approche et cela débouche parfois sur le rassemblement d’individus autour de personnages au charisme extraordinaire. Une communauté thérapeutique va se former autour d’un gourou qui va décider de la vie de ses patients, devenus des adeptes. L’exemple le plus dramatique que nous avons connu en France est celui de l’ordre du Temple solaire. Ses membres y étaient entrés par le biais de la santé.
Je m’adresse à l’ancien juge d’instruction que vous avez été : peut-on parler de préméditation ?
Tout cela est parfaitement planifié et organisé. Vous avez des structures de type industriel, comme l’église de scientologie. Ses centres de dianétique (théorie d’éveil spirituel ou de développement personnel) fleurissent dans le monde entier, avec des cours de « purification ». Vous avez, à côté de cela, toutes les micros structures avec un charlatan qui va agréger, autour de lui, dix ou vingt personnes. Il y en a dans tous les domaines de la santé.
Vous dites qu’il y a une réelle infiltration de ces communautés pseudo-thérapeutiques, à tous les niveaux de la société…
Il y a aujourd’hui une sorte de tapis rouge qui est déroulé par les pouvoirs publics et j’affirme que c’est un scandale ! D’où l’intérêt de préserver la Miviludes, grandement menacée. Sous la pression de l’opinion et des citoyens, les grandes autorités médicales ont malheureusement franchi la ligne jaune en laissant prospérer ces techniques dans les universités, devenues autonomes aujourd’hui. On voit partout fleurir des diplômes de maître reiki, de kinésiologue, de naturopathe qui donnent un vernis officiel à ces pratiquants. C’est une manne financière pour l’Université ! J’ajoute que le groupe d’étude sur les sectes de l’Assemblée Nationale a disparu, alors qu’il y avait une tradition française depuis 1995… N’oubliez pas que vous êtes sur des marchés colossaux, on parle de centaines de milliards d’euros à l’échelle planétaire. Quand vous allez au salon du bien-être à Paris, vous allez voir tous ces appareils sophistiqués de médecine quantique qui se vendent à prix d’or, sans aucun contrôle, alors que le moindre jouet est contrôlé sur sa sécurité. Pour la santé, on ferme les yeux…
Que faudrait-il faire pour casser ce scénario effrayant ?
Il faudrait déjà que le ministère de la Santé se ressaisisse ! Jérôme Salomon a tout de même fait entrer la « méditation de pleine conscience » au ministère, avec un grand colloque. Les députés eux-mêmes ont créé un groupe de méditation à l’Assemblée et ont demandé la prise en charge des séances sur le budget de la formation des élus. Cela a heureusement été refusé par la questure. Il y a une nette baisse de la vigilance. Il faut relancer l’activité du GAT (groupe d’appui technique) qui évalue la pertinence des techniques. Il y en a 400 de recensées à ce jour et 9 ont été évaluées… De même que l’on doit former les magistrats et les policiers au fonctionnement de cet univers complexe. Il faut enfin faire des campagnes d’affichage dans les hôpitaux, dans les maisons qui reçoivent des familles. N’oubliez pas que les enfants sont une cible directe.
source :
L’Union
le 27/09/2020
Propos recueillis par Philippe Minard