« Les naturopathes savent de manière très astucieuse comment promouvoir des produits de bien-être parfaitement superflus », explique l’ex-naturopathe devenue chercheuse en génétique. Britt Marie Hermes pourfend les fondements pseudo-scientifiques de la discipline, entre « detox » et dérives plus graves.
Ancienne naturopathe, Britt Marie Hermes a tourné à le dos à sa discipline quand elle a réalisé que sa clinique vendait un traitement illégal contre le cancer. Depuis, cette Américaine est devenue la plus féroce critique de la naturopathie via son blog Naturopathic Diaries ou à travers un travail d’information auprès des élus aux Etats-Unis, dans un pays fédéral où les législations sont souvent très favorables à ces thérapies alternatives en plein essor. Une fonction de « lanceuse d’alerte » qui n’est pas sans risque, puisque la naturopathe Colleen Huber, qui s’oppose à l’oncologie, lui a intenté un procès en diffamation. Pour L’Express, cette « apostate » revient sur son parcours et sur les fondements pseudo-scientifique de la naturopathie.
L’Express : Après avoir étudié à Bastyr, le « Harvard des médecines alternatives », vous avez exercé durant trois ans aux Etats-Unis en tant que naturopathe habilitée par les Etats de Washington et d’Arizona. Pourquoi n’avoir simplement pas choisi une école de médecine ?
Britt Marie Hermes : Eh bien, la réponse est aussi stupide que simple : je pensais que la naturopathie était meilleure que la médecine ! Je croyais que le futur de la médecine pencherait vers cette direction. J’estimais que la médecine était responsable de bien des souffrances, et que les médicaments pharmaceutiques pouvaient être dangereux, causant des effets secondaires. De mon point de vue à l’époque, le système médical n’offrait pas aux patients une façon de pouvoir se sentir bien. Je pensais que les médecins ne prenaient pas en compte leurs patients, et que ce n’était qu’un « business model » : écouter les patients pendant trente secondes, leur donner une pilule et les renvoyer. Je ne voyais pas ça comme un système de santé, mais comme une industrie qui ne rendait pas service aux patients.
Quels sont les fondements de la naturopathie? Comme vous l’expliquez dans « Pseudoscience, the conspira against science » (MIT Press), un concept clé est le vitalisme…
La naturopathie a été fondée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle par des soignants naturalistes qui confondaient la physiologie humaine avec le vitalisme. Le vitalisme, c’est l’idée que chaque corps humain possède une énergie, baptisée « vis » par les premiers naturopathes. La tâche des naturopathes est ainsi de fortifier cette force qui peut soigner les maladies et restaurer la santé grâce à des remèdes trouvés dans la nature. Il y là une composante physique, avec l’idée d’un système immunitaire, mais aussi psychologique, émotionnelle et spirituelle.
Il y a aussi l’idée que tout ce qui vient de la nature est bon, et le reste mauvais…
Oui, typiquement. Les naturopathes pensent que quand un produit est naturel, il y a une sécurité inhérente à ce produit. Mais ils ne voient pas que les substances naturelles peuvent aussi être dangereuses. Elles renferment des composants chimiques entraînant d’éventuels effets secondaires qui sont susceptibles d’interférer avec un traitement médical, et, à fortes doses, devenir toxiques. Contrairement aux médicaments standardisés, les produits bruts n’ont pas de tests à subir pour s’assurer de leur inoffensivité , ou même pour savoir si ils ont effet tout court. D’ailleurs, dans le meilleur scénario, ces substances n’ont aucune effet (rires). Mais même quand ces produits semblent parfaitement inoffensifs, ils représentent toujours une nuisance, car on gaspille l’énergie des patients. Ils investissent de faux espoirs, du temps, mais aussi de l’argent dans des produits qui ne servent à rien.
Vous racontez que vous étiez considérée comme une médecin généraliste…
Aux Etats-Unis, cela dépend de la régulation de l’Etat dans lequel vous vous trouvez. Dans l’Etat de Washington, puis en Arizona, j’étais autorisée à me définir comme étant un médecin de soins primaires, et même à prescrire des médicaments. J’étais enregistrées à la Drug Enforcement Administration (DEA), l’agence fédérale permettant aux personnels médicaux d’avoir accès aux produits contrôlés. Cela me donnait l’impression que j’avais le pouvoir et l’autorité pour agir comme un vrai médecin…
« J’ai moi-même pratiqué des arnaques à la « detox » «
Qu’est-ce qui vous a fait radicalement changer d’avis ?
Dans la clinique où je travaillais, mon chef, qui exerce d’ailleurs toujours en tant que naturopathe, s’était spécialisé dans le traitement des malades du cancer. Il utilisait une substance appelée Ukrain, un extrait de grande chélidoine qu’il importait d’Australie. Je me disais que c’était un médicament naturel et sain, et que les preuves de son efficacité étaient bonnes. J’étais très naïve, car je n’ai posé aucune question. J’avais besoin d’argent pour payer mes frais d’université, et il m’a offert l’opportunité de prescrire de l’qui me fournissait un revenu. Je n’ai commencé à m’interroger que quand, un jour, ce « médicament » n’a pas été livré par courrier. Je lui ai demandé s’il y avait un problème. « Cela a été probablement confisquée » m’a-t-il répondu, avant d’évoquer de manière vague le fait que la FDA (Food and Drug Administration, l’agence américaine des produits alimentaires et des médicaments NDLR) faisait cela de temps en temps. Cela m’a semblé très étrange. Je suis rentrée et j’ai googlisé « Ukrain ». J’ai vite réalisé grâce à internet que ce produit est très dangereux, car associé à de sérieux effets secondaires, et que son autorisation a été refusée dans presque tous les pays développés. J’ai aussi appris ce que cela signifiait aux Etats-Unis d’importer des médicaments non autorisés, ce qui peut représenter un délit sérieux. Des médecins ont perdu leur licence médicale pour avoir utilisé l’Ukrain, et certains sont même allés en prison.
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J’étais terrifiée. J’étais impliquée dans un potentiel délit et j’avais prescrit quelque chose de dangereux à mes patients sans le savoir, car je ne suis bien sûr pas spécialiste du cancer. Je savais au fond de moi que j’avais tort, et qu’il fallait que je me sorte de cette situation. J’ai donc sollicité un conseil juridique. Un avocat m’a recommandé, et je lui serais toujours reconnaissant, de faire ce qui est moralement juste, à savoir quitter ce cabinet, et signaler aux autorités les agissements de mon supérieur. Après cela, j’ai réalisé que la naturopathie était pleine de ce genre de cas. Ce n’était pas juste un praticien frauduleux. Tout le système est construit sur cette idée que les naturopathes peuvent faire ce qu’ils veulent, et qu’ils sont en quelque sorte des médecins rebelles. Avec tristesse, j’ai souvent pensé à ces patients, très malades, qui payaient des dizaines de milliers de dollars pour un faux espoir de soigner leur cancer.
La naturopathie est aussi obsédée par l’idée de détoxication. Vous allez jusqu’à parler « d’arnaques à la « détox » » ne servant qu’à une seule chose : faire de l’argent. Vraiment?
Absolument! Je l’ai moi-même pratiqué. Or personne n’a besoin de pratiquer la « detox » pour être en bonne santé. Vous n’avez nul besoin de boire des boissons spéciales pour laver un rein ou un foie. Vous n’avez pas besoin de compléments pour purifier votre corps. Rien de cela n’est nécessaire d’un point de vue médical. Plus d’une fois, j’ai été impliquée dans la promotion de régimes « detox » pour augmenter le chiffre d’affaire de la clinique dans laquelle je travaillais, en recommandant par exemple aux patients de suivre un programme une fois par saison. Les naturopathes savent de manière très astucieuse comment promouvoir des produits de bien-être parfaitement superflus. En réalité, ils vendent des poudres de perlimpinpin modernes, en les masquant sous un mince vernis de sciences.
Comment expliquer la popularité des produits de « detox ». Est-ce une nouvelle religion purificatrice ?
Il est facile de vendre l’idée qu’en prenant le contrôle de votre corps, vous vous sentirez mieux. Personne, et particulièrement en cette période de grand stress avec le Covid-19, nierait le fait qu’il soit épuisé et submergé. Quand un soi-disant expert médical s’adresse à ces sentiments très communs, et explique que si vous buvez cette poudre verte et suivez ses consignes, vous aurez plus d’énergie, votre peau sera plus belle, vous serez plus mince, c’est un message très séduisant, notamment pour les femmes qui ont l’impression qu’elles font mille choses, et ne peuvent pas tout faire parfaitement. Même aujourd’hui, je suis toujours attirée par cette idée que je pourrais être une meilleure personne, que je pourrais être plus mince, en meilleure santé si je suivais un de ces programmes spéciaux sensé faire mieux fonctionner mon corps. Mais ce n’est pas vrai ! Il y a simplement des notions très basiques comme manger régulièrement, s’hydrater et avoir suffisamment de sommeil (rires).
Vous expliquez que c’est aussi jouer sur la culpabilité du patient. Si l’on est malade, c’est qu’on est responsable de cet état, qu’on n’a pas investi dans sa santé…
C’est une façon de penser dangereuse. Or, on entend de plus en plus ce type de langage et de logique dans le domaine de la santé. On la retrouve aussi dans la notion de « guerre contre le cancer » qui fait fureur aux Etats-Unis. Si vous êtes en guerre, soit vous gagnez, soit vous perdez. Et pour gagner, il faudrait suivre toutes ces recommandations préventives, comme boire du jus de céleri. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de réfléchir, ni même un mode de vie équilibré.
La naturopathie est principalement adoptée par des femmes blanches riches
Avec la spectaculaire augmentation de l’espérance de vie, il n’y jamais eu autant de preuves des bénéfices de la médecine moderne. Mais les médecines alternatives, et notamment la naturopathie, ont le vent en poupe dans les pays occidentaux. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce la faute des médecins qui ne consacrent pas assez de temps à leurs patients ?
Il y a beaucoup de raisons à cela. Certains adeptes des médecines douces voient effectivement la médecine comme un business, et reprochent aux médecins de ne pas leur consacrer assez de temps pour les écouter (même si je pense que c’est en train de changer avec une nouvelle génération de praticiens). Mais la promotion des médecines alternatives par des célébrités, à l’image de Gwyneth Paltrow, joue aussi un rôle. Je pense que c’est très dangereux.
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Et il y a une question de genre. Les femmes, souvent, prennent en charge les décisions concernant la santé pour leur famille. Les médecines alternatives les ciblent tout particulièrement, en leur vendant la promesse de devenir de meilleures épouses et mères en ayant plus d’énergie. Et quand les femmes commencent à adopter ce mode de pensée, elles l’intègrent dans les soins de santé de leur famille. Cela débute par des petites choses, comme des compléments alimentaires au petit déjeuner, et cela peut finir par toute la famille suivant un programme de « detox », voire même la décision de ne pas vacciner les enfants. Un tas de raisons peuvent ainsi entrer en jeu dans la décision de patients de de détourner de la médecine conventionelle et d’adopter des idées alternatives.
Vous avez grandi dans le Sud de la Californie, dans un environnement aisé. Est-ce un luxe de pouvoir se consacrer au bien-être et aux médecines alternatives ?
Absolument ! La naturopathie est principalement adoptée par des femmes blanches riches. Vous devez être privilégié pour consulter un naturopathe comme médecin traitant. Vous avez besoin de temps et d’argent pour cela. Seuls les gens qui ont les moyens peuvent se permettre de prendre ces risques.
Vous avez gagné votre procès en diffamation contre Colleen Huber, une naturopathe américaine que vous aviez dénoncé pour utiliser des « traitements » contre le cancer à base de bicarbonate de soude ou de fortes doses de vitamine C administrés en intraveineuse. Est-ce dur de faire ce travail de lanceuse d’alerte ?
Aujourd’hui, je suis toujours la seule ancienne naturopathe a explicitement qualifier la discipline de fallacieuse. C’est compliqué sur le plan émotionnel, car j’ai perdu tous mes anciens amis de Bastyr. Mais grâce à internet, j’ai aussi fait la connaissance de nouvelles personnes qui ont été dans des écoles de naturopathie, et ont réalisé les limites de cette discipline. C’est épuisant, car j’ai une famille. Et le risque d’être poursuivie et de mettre en péril les finances de ma famille est effrayant.
Les médias font-ils bien leur travail sur le sujet ? Un hebdomadaire français comme l’Obs avait par exemple l’été dernier mis en couverture un naturopathe allemand, Thomas Uhl, promouvant la detox et le jeûne…
Les journalistes, comme toutes les autres personnes, peuvent être sensibles à la désinformation promue par les naturopathes. Et ces naturopathes dans les pays occidentaux font un très bon boulot pour se marketer eux-mêmes. Ils savent comment s’adresser à un large public. Ils savent parfaitement mélanger le « bullshit » naturopathe avec des vraies informations médicales. A moins que le journaliste ait des bonnes connaissances non seulement en sciences et médecine, mais aussi en pensée critique, il est facile de se faire berner. J’ai moi-même été piégée, et je peux donc facilement comprendre comment on peut se faire avoir. Mais j’espère que les journalistes feront un meilleur travail en matière de scepticisme.
Que faire si un membre de sa famille adopte des croyances alternatives en termes de médecine ? L’éducation ne suffit pas dites-vous…
De manière générale, nous devons écouter bien plus ces personnes. Avant toute action, il faut comprendre pourquoi cette personne a été séduite par la naturopathie ou par l’homéopathie. Dans bien des cas, ces disciplines servent à une forme de soutien émotionnel et font fonction de thérapie. Nous devons ainsi d’abord comprendre ces motivations avant de pouvoir faire quelque chose.
Aujourd’hui, vous êtes en doctorat de génomique à l’université de Kiel. Pourquoi ce choix après votre expérience de naturopathe ?
C’est une bonne question (rires). Mon mari et moi avons déménagé en Allemagne pour qu’il puisse faire son doctorat en archéologie. Là-bas, j’ai réalisé que je pouvais retourner à l’école gratuitement, et me rééduquer. J’ai commencé par un master en sciences, et j’ai travaillé avec un groupe de recherche en biologie évolutive qui étudie le microbiote, et notamment les problèmes inflammatoires de peau comme le psoriasis. Or le microbiote est un grand sujet de conversation pour les naturopathes. Et mon psoriasis est l’une des raisons pour laquelle j’ai basculé dans la naturopathie. La boucle était bouclée. A l’âge de 16 ans, je me sentais désespérée. D’autant plus que le dermatologue que j’avais consulté à l’époque était un vrai abruti méchant, qui m’a prescrit un traitement à base de stéroïde et m’a dit que je n’avais qu’à me faire une raison puisque j’allais avoir ça pour le restant de ma vie. J’ai ainsi connu l’expérience classique d’un praticien qui n’a pas su prendre en compte mon désarroi. J’ai voulu le contredire, et c’est ainsi que j’ai commencé ma quête dans les médecines alternatives. Aujourd’hui, je sais que le stress, l’alcool peuvent être des déclencheurs pour ce psoriasis, et j’utilise si besoin une crème aux stéroïdes ou des shampoings spéciaux. Il faut essayer de prendre le contrôle de son corps, quand c’est nécessaire, avec des choses très basiques comme ne pas trop boire de vin ou bien dormir. Mais je sais aussi qu’une « detox » ne servira à rien.