Les pratiques de soins non conventionnels désignent l’ensemble des pratiques ni reconnues sur le plan scientifique par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé [1].
Le comportement des patients vis-à-vis de la médecine est ambivalent : les avancées de la recherche sont plébiscitées, mais les effets secondaires inquiètent et les résultats des traitements déçoivent quand ils ne permettent pas une guérison [2]. Les soins alternatifs séduisent car ils sont perçus comme naturels et favorisant le bien-être, sans effets secondaires. Selon un sondage IFOP paru en 2007, 39 % des patients y ont eu recours dans l’année précédente [3]. Un sondage Odoxa réalisé en 2019 explicite les raisons du recours à des thérapies alternatives : méthodes plus naturelles que la médecine (9 patients sur 10 les utilisant), ayant moins d’effets secondaires (9/10) et utilisées en complément de la médecine (7/10) ; moins de la moitié des personnes sondées (44 %) pensent que les traitements alternatifs sont plus efficaces que la médecine et un tiers d’entre elles n’ont pas confiance en cette dernière.
Les enjeux économiques liés au développement des thérapies alternatives sont importants : au niveau mondial, le marché des soins alternatifs a été évalué à plus de 63 milliards d’euros par l’OMS en 2008, et il se développe [4]. Le but de cet article est de faire un état des lieux de l’utilisation des thérapies alternatives par les patients, des pratiques des médecins et de leurs réactions vis-à-vis des thérapies alternatives : enfin, de comprendre les tensions générées entre médecine et soins alternatifs.
État des lieux
Patients
- La fille malade,Dorothea Maetzel-Johannsen (1886-1930)
En 2011, 70 % des habitants de l’Union européenne avaient eu recours aux soins alternatifs au moins une fois dans leur vie, 25 % se tournaient vers ces pratiques chaque année et ce chiffre atteignait 80 % chez les patients en cours de traitement pour un cancer [5].
Les études françaises rigoureuses et issues de revues n’ayant pas de conflit d’intérêt vis-àvis des soins alternatifs sont rares. Certaines ont été menées dans le domaine de l’oncologie (traitement des cancers). Les thérapies complémentaires sont utilisées par ces patients pour diminuer les effets secondaires cutanés des traitements (61 %), améliorer le bien-être et l’état général (28 %), stimuler le système immunitaire ou traiter le cancer (9 %) [6]. Pour ces patients, l’utilisation des thérapies complémentaires pourrait être une solution pragmatique pour répondre à des besoins non comblés par la médecine pendant la maladie cancéreuse, comme par exemple donner du sens à ce qu’ils vivent, ou faire face à leur maladie et se sentir acteur des décisions et des soins [7]. L’écoute et la disponibilité de la personne prodiguant des thérapies complémentaires sont décrites comme fondamentales par les usagers, ainsi que la sensation de détente et de bien-être qui est parfois jugée aussi importante que l’issue thérapeutique [8].
Médecins
- Une séance d’hypnose, Richard Bergh (1858-1919)
Les réactions des médecins face aux thérapies alternatives sont multiples : l’exercice exclusif dans le domaine des thérapies alternatives est rare (5,3 % des médecins) ; 62,1 % des médecins généralistes les utilisent ponctuellement, d’autres ne les utilisent pas ou y sont opposés (32,6 %). Il n’existe pas de données relatives aux autres spécialités. L’Ordre des médecins reconnaît l’acupuncture, l’homéopathie, l’ostéopathie et la mésothérapie. La convention médicale 1 de 2011 a prévu la création d’une commission au sein de la Cnam pour les MEP (médecins à expertise particulière, dont l’homéopathie et l’acupuncture ainsi que d’autres spécialités sans lien avec les soins alternatifs). L’objectif était d’organiser la place de ces modes d’exercice particulier dans le parcours de soins et la formation professionnelle continue. En 2015, environ 2 800 médecins se déclaraient homéopathes ou acupuncteurs (sans les médecins qui ne se déclarent pas à expertise particulière mais peuvent cependant prescrire ponctuellement ou régulièrement des traitements alternatifs).
Une étude française (2009) a été réalisée auprès des médecins généralistes : deux tiers d’entre eux déclaraient pratiquer un mode d’exercice particulier, de manière occasionnelle pour 43,6 % de l’échantillon, régulière pour 18,5 % et systématique pour 5,3 %. Depuis 1992, une augmentation significative de ces pratiques a été observée (voir schéma).
Les motivations pour se déclarer MEP en France ont été évaluées dans un travail de thèse de médecine générale [9] : une formation universitaire initiale en médecine générale jugée incomplète était évoquée. La formation dans le domaine des thérapies complémentaires permettrait aux MEP une approche de leur patient qu’ils perçoivent comme globale, avec plus de temps dédié à chaque consultation. Les motivations ne semblent pas d’ordre financier : les honoraires des MEP sont en deçà de ceux des généralistes n’ayant pas cette orientation [10].
La place des thérapies complémentaires est l’objet d’un vif débat au sein de la communauté médicale. En 2018, un appel contre les médecines alternatives était lancé par 124 médecins (voir encadré).
Cet appel souhaitait encourager les démarches d’information sur la nature des thérapies alternatives, leurs effets délétères et leur efficacité réelle. Il demandait aux soignants de respecter la déontologie de leur profession, en refusant de donner des traitements inutiles ou inefficaces, en proposant des soins en accord avec les recommandations des sociétés savantes et les données les plus récentes de la science, en faisant preuve de pédagogie et d’honnêteté envers leurs patients et en proposant une écoute bienveillante [11]. Cette mobilisation a permis l’ouverture d’un débat sur le remboursement de thérapies alternatives, au positionnement contre ce remboursement de l’Académie de médecine et de l’Académie de pharmacie et à la décision ministérielle du déremboursement de l’homéopathie à partir de 2021.
Tensions entre médecine et soins alternatifs
La médecine et les soins alternatifs ne sont pas soumis au même cadre réglementaire : bien établi et contraignant en ce qui concerne l’exercice des professions médicales, mais flou et non spécifique en ce qui concerne le domaine du bienêtre. Ces différences de considération et l’absence d’intégration au même système génèrent des tensions et un cadre peu compréhensible et peu transparent pour les usagers, les personnels de santé (médicaux et paramédicaux) et les personnes travaillant dans le domaine des soins alternatifs. Les patients ne bénéficient pas d’informations claires et conformes aux données de la science pour orienter leurs choix de façon éclairée. Dans un cas sur deux, les médecins et personnels paramédicaux ne sont pas informés du fait que leurs patients ont recours à ces pratiques, ce qui induit des risques dans leur prise en charge. Les personnes exerçant dans le domaine des soins alternatifs et du bien-être ne bénéficient pas d’un cadre réglementaire de nature à favoriser des traitements efficaces et validés et à interdire les traitements dangereux ou relevant de la dérive thérapeutique.
Dénomination des soins alternatifs
Les appellations concernant des thérapies alternatives permettent de mettre en lumière un positionnement différent en fonction des organismes politiques et administratifs en France et au niveau mondial. Ce discours équivoque contribue à une information du grand public peu claire. Les autorités de santé françaises ont choisi des dénominations qui ne comportent pas le mot médecine, réservé à la médecine fondée sur une démarche scientifique et enseignée à l’université en formation initiale [4] : l’Académie de médecine française a choisi « thérapies complémentaires » pour souligner qu’il ne peut s’agir que de compléments aux moyens de traitement médicaux [2]. Au contraire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise les termes « médecine alternative » et « médecine complémentaire », qui font référence « à un ensemble de pratiques de santé qui ne font pas partie de la tradition ni de la médecine conventionnelle du pays et ne sont pas pleinement intégrées à son système de santé » [12].
L’OMS explique sa position en faveur de l’intégration des médecines complémentaires dans les systèmes de santé par des contextes de soins très différents selon les pays et des situations sanitaires très disparates, avec des pays dont les recours de soins principaux sont encore des soins alternatifs [12].
Au niveau politique, l’OMS a publié des rapports en faveur de l’intégration de pratiques non fondées sur une démarche scientifique, y compris dans les pays bénéficiant d’un système de santé accessible à la population, en termes de disponibilité et de coût [12]. Ces recommandations de l’OMS ont été suivies au niveau européen dans le rapport portant sur le statut des médecines non conventionnelles au Parlement européen [14]. Les recommandations du centre d’analyse stratégique au gouvernement français, tenant compte des recommandations de l’OMS et du Parlement européen, sont « d’ouvrir une plateforme d’information recensant les connaissances actuelles sur les médecines non conventionnelles, les plantes médicinales et les praticiens du secteur », de « développer des études bénéfice-risque et coût-efficacité afin de décider de la pertinence, d’interdire ou de dissuader le recours à certaines pratiques, de promouvoir certaines méthodes via les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) et dans le cas où le rapport coût-efficacité serait favorable d’envisager le remboursement des pratiques les plus efficientes », d’établir « un label de thérapeute en pratiques non conventionnelles dont l’obtention serait conditionnée à la réussite d’un examen clinique et juridique, labelliser les offres de formation en écoles privées », et enfin de « proposer aux étudiants des filières médicales et paramédicales des modules facultatifs d’initiation aux médecines non conventionnelles pour qu’ils puissent informer leurs futurs patients sur les avantages et risques éventuels » [4].
Preuve d’efficacité
- Un docteur vendant des remèdes de sa caravane, William Mecham, dit Tom Merry (1853-1902)
L’efficacité thérapeutique d’un traitement médical est évalué et prouvé par des essais thérapeutiques : il est considéré comme efficace quand son effet mesuré est supérieur à l’effet placebo. La preuve fait partie du code de déontologie : « Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication de réserves ni faire une telle divulgation dans le public non médical » (article 14) et doivent assurer des « soins fondés sur les données acquises de la science » (article 32) ; ils « ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé » (article 39) [13].
L’appel de 124 professionnels de la santé contre les « médecines alternatives »
« Le serment d’Hippocrate est l’un des plus anciens engagements éthiques connus. Il exige du médecin d’offrir les meilleurs soins possibles et de la façon la plus honnête […]. L’obligation d’honnêteté est inscrite dans les codes de déontologie des professions médicales et le code de la santé publique (article 39 du code de déontologie, article R.412739 du code de la santé publique) : ils interdisent le charlatanisme et la tromperie, imposent de ne prescrire et distribuer que des traitements éprouvés. Ils proscrivent aussi l’usage de remèdes secrets ou ne mentionnant pas clairement les substances qu’ils contiennent […].
Pourtant en 2018, l’Ordre des médecins tolère des pratiques en désaccord avec son propre code de déontologie et les pouvoirs publics organisent voire participent au financement de certaines de ces pratiques. Face à des pratiques de plus en plus nombreuses et ésotériques, et à la défiance grandissante du public vis-à-vis de la médecine scientifique, nous nous devions de réagir avec force et vigueur […].
Les thérapies dites « alternatives » sont inefficaces au-delà de l’effet placebo, et n’en sont pas moins dangereuses […]. Ces pratiques sont également coûteuses pour les finances publiques […]. De ces pratiques qui ne sont ni scientifiques, ni éthiques, mais bien irrationnelles et dangereuses, nous souhaitons nous désolidariser totalement.
Nous demandons instamment au Conseil de l’ordre des médecins et aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour :
- ne plus autoriser à faire état de leur titre les médecins ou professionnels de santé qui continuent à les promouvoir ;
- ne plus reconnaître d’une quelconque manière les diplômes d’homéopathie, de mésothérapie ou d’acupuncture comme des diplômes ou qualifications médicales ;
- ne plus faire produire en faculté de médecine ou dans les établissements de formation de santé des diplômes appuyés sur des pratiques dont l’efficacité n’aura pas été scientifiquement démontrée ;
- ne plus rembourser par les cotisations sociales les soins, médicaments ou traitements issus de disciplines refusant leur évaluation scientifique rigoureuse ;
- encourager les démarches d’information sur la nature des thérapies alternatives, leurs effets délétères et leur efficacité réelle. »
Extrait de l’appel. Texte complet sur le site du collectif Fakemed.fakemedecine.blogspot.com
La définition d’efficacité thérapeutique est méconnue du grand public, les données scientifiques ne sont pas facilement accessibles. Les patients jugent selon leur expérience personnelle : améliorations spontanées, fluctuations des symptômes sont des biais qui confortent ou non l’idée d’efficacité.
En ce qui concerne les traitements alternatifs, une unité de l’Inserm est chargée de recenser toutes les études de niveau de preuve suffisant [14], avec pour objectif de rendre les résultats de ces investigations accessibles au grand public. Cette initiative semble de nature à augmenter le niveau d’information de la population [4]. La question de la reconnaissance des recherches déjà menées est essentielle : les essais dont les résultats ne prouvent pas une efficacité supérieure à l’effet placebo devraient suffire en soi à remettre en question des pratiques de soins. La méconnaissance des techniques d’évaluation médicale des traitements par le grand public et les médias conduit à ne pas prendre en compte le résultat des recherches déjà menées. La prise en compte des conflits d’intérêts est essentielle et ces informations devraient être accessibles pour le public. La diffusion des résultats de la recherche est cruciale : la complexité des analyses statistiques rend probablement ces résultats inintelligibles aux personnes chargées de diffuser l’information, posant la question de la formation des journalistes en charge de vulgariser ces résultats.
La question du bien-être et de la spiritualité en médecine
L’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». L’engouement pour les thérapies alternatives semble être lié, d’une part à une forte demande de bien-être des patients, et d’autre part à un désir de prise en charge plus globale.
Cette discordance génère une tension entre la recherche de bien-être et un exercice médical centré sur la pathologie. Le rôle des médecins est parfois d’être porteur de mauvaise nouvelles (annonce de pathologie grave, chronique ou engageant le pronostic) et de proposer des soins difficiles : faire face aux mécanismes de déni est essentiel. Ces mécanismes peuvent pousser à chercher des réponses alternatives à des soins difficiles ou des promesses de guérison que la médecine ne peut apporter [15]. Les professionnels exerçant dans le domaine du bienêtre ne sont pas confrontés à des situations de devoir annoncer de mauvaises nouvelles ou à fournir une information claire et conforme aux données des connaissances actuelles. Les soins proposés sont perçus comme agréables et sans effets secondaires, ce qui mène les patients à les investir très positivement. Le soutien qu’il est nécessaire d’apporter aux patients pour affronter une maladie ne peut se faire au détriment des traitements efficaces pour eux.
Les patients souhaitent être reconnus en tant que personnes dans leur dimension spirituelle et ne pas être réduits à leur pathologie. Des « soins spirituels » ont été conceptualisés aux États-Unis [16]. Mais le contexte culturel des États-Unis est peu transposable à la France, où les patients considèrent ces soins spirituels comme une dimension additionnelle proposée par le soignant qui perçoit un besoin. Au contraire, les patients attendent de cette dimension spirituelle la possibilité de s’échapper de leur pathologie et de leur condition de patient, et non une prise en charge par le personnel médical [17].
La médecine ne semble pas vouée à répondre à ces besoins spirituels, qui peuvent être accrus dans des périodes difficiles (deuil, maladie, perte d’emploi). Cette demande de « spiritualité » est au contraire largement revendiquée par les soins alternatifs ou destinés à améliorer le bien-être. La limite entre un soutien bénéfique et la dérive thérapeutique n’est pas légalement encadrée.
Les risques individuels
Les médecins doivent pouvoir parler des traitements alternatifs, si leur patient les utilise, et évaluer objectivement les bénéfices et les risques. Les connaissances établies sur les bénéfices potentiels devraient être accessibles aux personnes pour les aider dans leurs choix de santé : traitement de la migraine [18], lombalgies chroniques [19], hypnose, anesthésie et douleur [20].
Les risques d’interaction médicamenteuse, d’interruption de soins médicaux en faveur de prestations dont l’efficacité n’est pas évaluée, de retard de prise en charge ou de dérive sectaire, avec des dommages financiers ou des ruptures avec le milieu familial et social, ainsi qu’une liste simple de points d’alerte devraient être connus par les patients et les soignants [4, 21]. La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a publié des guides informant médecins et patients [21]. Un guide spécifique à l’usage des personnes traitées pour un cancer a été édité en collaboration avec les sociétés d’oncologie [22]. Les personnes en demande de développement personnel sont particulièrement exposées [23].
Le dernier rapport de la Miviludes fait état d’une augmentation importante des demandes qui lui sont adressées concernant les dérives dans le cadre de thérapies alternatives : 214 en 2015 et 395 en 2016. La maladie est un point d’entrée pour les mouvements à caractère sectaire.
Les risques en santé publique
En France, dans le domaine de la santé publique, une association entre hésitation vaccinale chez les médecins généralistes et pratique de thérapies complémentaires a été mise en évidence. Cette hésitation est associée à une moindre efficacité à convaincre les patients ou parents réticents à la vaccination et est attribuée à une discordance entre la formation initiale et la formation continue à propos de la vaccination [24]. Des foyers de réémergence de maladies infectieuses ont également été mis en évidence dans des écoles privées dont les croyances s’opposent à la vaccination [23], les maladies infantiles étant perçues comme « naturelles » et peu dangereuses, ce qu’elles ne sont pas (voir, par exemple, les complications graves et fréquentes de la rougeole 2).
Tensions autour de la communication
- Médecin examinant un flacon d’urine, attribué à la manière de Trophime Bigot (1579-1650)
La communication concernant les thérapies alternatives est problématique : l’information véhiculée est plus souvent basée sur des idéologies et croyances que sur des données évaluables de manière scientifique. Les usagers s’informent auprès de leur famille et de leurs amis, à travers la presse et sur Internet, mais peu auprès de
leur médecin [7]. Certains thérapeutes font leur autopromotion sur Internet, alors que les informations qui permettraient de juger de la qualité et de la sécurité des soins prodigués ne sont à disposition ni des usagers ni des mutuelles. Des informations ont récemment été mises en ligne sur le site Internet santé.gouv.fr, mais elles sont peu visibles, noyées dans la masse des nombreux sites proposant des soins non éprouvés.
La publicité est interdite aux médecins. L’information reçue par les usagers est donc biaisée en faveur des thérapies alternatives, prodiguées par des non-professionnels de santé.
Les soins non éprouvés sont parfois remboursés par les complémentaires santé, ce qui contribue à légitimer auprès du public des pratiques dont l’efficacité n’a pas été démontrée et l’absence de risque n’a pas été établie.
Formation initiale et continue
L’enseignement médical, lors de la formation initiale, est abordé par organes et au travers des spécialités correspondantes. Il laisse peu de place à la médecine générale, alors que cette spécialité 3 dispose du plus grand nombre de postes pour les internes et sera l’orientation professionnelle de plus d’un tiers des étudiants formés chaque année.
La place des médecins généralistes mériterait d’être repensée pour qu’ils contribuent à une prise en charge plus globale des patients. Ils pourraient dédier plus de temps à délivrer des conseils liés à l’hygiène de vie et la prévention. Les prescriptions non médicamenteuses ne font pas appel à des techniques de soins non éprouvées et permettent de prendre en charge les actions de prévention des maladies [25].
Certains médecins considèrent la formation en thérapie alternative comme une réponse à un besoin de formation continue obligatoire. Ces formations sont facilement accessibles en termes de proximité (des écoles privées et des facultés proposent des formations et des diplômes universitaires en thérapies alternatives sur tout le territoire), même si ces thérapies n’ont pas fait la preuve de leur efficacité [26]. En janvier 2019, l’Agence nationale du développement professionnel continu (DPC) reconnaissait plusieurs organismes validant une formation en thérapies alternatives, contribuant à une offre de formation sans validation scientifique [27].
Le domaine de la santé et celui du développement personnel sont l’objet du plus grand nombre de dérives sectaires constatées, le personnel médical et paramédical pouvant luimême se faire abuser par des organismes de formation [28].
Conclusion
Le recours à des soins alternatifs pose question à la médecine : les patients y trouvent des bénéfices en termes de bien-être, de prise en charge spirituelle en cas de détresse, mais l’utilisation de ces soins peut être associée à des risques mé
dicaux (interactions médicamenteuse, retard de prise en charge, résistance vaccinale) ou plus rarement psychosociaux (dérive sectaire, rupture avec le milieu familial, dommages financiers). L’absence de cadre réglementaire pour les soins alternatifs, en opposition à un cadre réglementaire très strict en ce qui concerne les professions de santé, favorise une information peu claire, non conforme aux données de la science et biaisée en faveur des thérapies alternatives. Le domaine de la formation continue contribue également parfois à légitimer auprès des personnels de santé (médicaux et paramédicaux) des soins dont le bénéfice n’est pas prouvé. L’importance d’une évaluation rigoureuse et indépendante de leurs promoteurs est fondamentale et doit s’accompagner d’une capacité du système de santé à diffuser les résultats obtenus. La prise en compte des résultats des recherches déjà menées est primordiale, tant pour les patients pris individuellement que pour les politiques de santé publique.
1 | Ministère des Solidarités et de la Santé, « Les pratiques de soins non conventionnelles : Médecines complémentaires / alternatives / naturelles », 2017. Sur solidarites-sante.gouv.fr
2 | Bontoux D, Couturier D, Menkès C-J, « Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi – leur place parmi les ressources de soins », Rapport d’un groupe de travail de la commission XV, Académie nationale de médecine, 5 mars 2013.
3 | Dabi F, Colmet Daâge F-A, « Les Français et les médecines naturelles : résultats détaillés », sondage IFOP, 2007.
4 | HAS, « Quelle réponse des pouvoirs publics à l’engouement pour les médecines non conventionnelles ? (Note d’analyse 290 – octobre 2012) », Note d’analyse du Centre d’analyse stratégique, 2012, 180.
5 | Hogerzeil HV, Mirza Z, “The World Medicines Situations 2011 : Access to Essential Medicines as part of the Right to Health”, World Health Organization, 2011.
6 | Dupin C, Arsène-Henry A, Charleux T et al., “Prevalence and expectations of ‘alternative and complementary medicine’ use during radiotherapy in 2016 : A prospective study”, Cancer Radiother, 2018, 22 :682-7.
7 | Sarradon-Eck A, Bouhnik AD, Rey D et al., “Use of nonconventional medicine two years after cancer diagnosis in France : evidence from the VICAN survey,” J. Cancer Surviv., 2017, 11 :421-30.
8 | Gautier A, « Baromètre santé médecins généralistes 2009 », 2011, 261p.
9 | « Épreuves Classantes Nationales (ECN) – Sommaire et Mode d’emploi », 2017. Sur has-sante.fr
10 | « Le profil des médecins à expertise particulière », Le Quotid. du médecin, 2016.
11 | Collectif, « L’appel de 124 professionnels de la santé contre les “médecines alternatives” », Le Figaro, 27 juillet 2018.
12 | OMS, « Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023 », 2013, 72p.
13 | Ordre national des médecins, « Code de déontologie médicale », 2017, 36p.
14 | Kieffer B, « Médecines alternatives : ce qu’en dit la science », Science et Santé n° 20, mai-juin 2014.
15 | Falissard B, « Quand la médecine ne doit plus s’occuper de questions de santé », YouTube, 30 juillet 2018.
16 | Hummel L, Galek K, Murphy KM et al., “Defining spiritual care : An exploratory study”, J. Health Care Chaplain., 2008, 15 :40-51.
17 | Pujol N, Jobin G, Beloucif S, “‘Spiritual care is not the hospital’s business’ : A qualitative study on the perspectives of patients about the integration of spirituality in healthcare settings”, J. Med. Ethics, 2016, 42 :733-7.
18 | Anaes, « Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l’adulte et chez l’enfant : aspects cliniques et économiques. Recommandations », octobre 2002, 21p.
19 | Anaes, « Diagnostic, prise en charge et suivi des malades atteints de lombalgie chronique », décembre 2000, 95p.
20 | Kuttner L, “Pediatric hypnosis : Pre-, peri-, and post-anesthesia”, Paediatr. Anaesth., 2012, 22 :573-7.
21 | Miviludes, « Guide Santé et dérives sectaires », 2012.
22 | INCa, UNHP, Miviludes, ARC, CNOM, « Cancers, attention aux traitements miracles », 2011.
23 | Miviludes, « Rapport d’activité 2016 et premier semestre 2017 », 2017.
24 | Verger P et al., “Prevalence and correlates of vaccine hesitancy among general practitioners : A cross-sectional telephone survey in France, April to July 2014”, Eurosurveillance, 2016, 21 :1-10.
25 | HAS, « Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées synthèse », 2011, 93p.
26 | Simmonnot M, « Motivations des médecins généralistes pour l’exercice de l’homéopathie : enquête qualitative par entretiens semi-dirigés auprès de médecins généralistes exerçant l’homéopathie en Lorraine », Sciences du Vivant [q-bio], 2013, hal-01733038.
27 | Suragencedpc.fr
28 | Miviludes, « Guide. Savoir déceler les dérives sectaires dans la formation professionnelle », 2012.
source :