C’est dans un manoir, au coeur d’un tout petit village du Sud-Ouest, qu’à élu domicile Tabifha’s Place, ce mouvement religieux américain qui, de plaintes en perquisitions, défraie la chronique locale depuis une vingtaine d’années. Car chez
ces fous de dieu,l’amour de son prochain ne semble pas s’appliquer aux plus jeunes, qui seraient soumis à des punitions corporelles, déscolarisés, privés de jouets et de médicaments. Surveillé de près par les autorités, Ie mouvement, jamais vraiment inquiété, s’agrandit pourtant. Notre reporter est allé frapper à sa porte.
ces fous de dieu,l’amour de son prochain ne semble pas s’appliquer aux plus jeunes, qui seraient soumis à des punitions corporelles, déscolarisés, privés de jouets et de médicaments. Surveillé de près par les autorités, Ie mouvement, jamais vraiment inquiété, s’agrandit pourtant. Notre reporter est allé frapper à sa porte.
Quand il lui fallut pratiquer l’autopsie, le médecin légiste désigné par le juge d’instruction avoua n’avoir <<jamais vu ça». Raphaël était si décharné que le praticien confia avoir pensé, devant cet enfant de 19 mois qui venait de mourir, aux corps retrouvés lors de la libération des camps de concentration nazis. Nous étions alors en 1997, dans le hameau de Sus, à 45 km à I’Ouest de Pau. Jugés devant la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques, ses parents, Michel et Dagmar, membres de la secte Tabitha’s place, furent condamnés en appel à douze années de prison pour avoir Iaissé leur enfant, victime d’une grave malformation cardiaque, mourir sans recevoir de soins.
Une badine en osier de 40 cm
C’est ici que le drame s’est déroulé. Dans ce hameau devenu depuis une quarantaine d’années le fief français de cette organisation d’inspiration chrétienne protestante, née aux États-Unis et installée dans une douzaine de pays européens, connue sous les noms d’Ordre apostolique, Douze tribus ou Ruben and Brothers .Ici, pas de gourou en particulier. Mais un conseil composé de membres âgés qui décide des grandes orientations du groupe. En décembre dernier, les gendarmes ont une nouvelle fois perquisitionné le domaine qui, malgré les enquêtes, les plaintes, les perquisitions,demeure ouvert et même s’agrandit alors que l’organisation a été interdite en Allemagne. Onze personnes parmi la centaine d’adeptes ont été entendues. Une mère de famille a été mise en examen et placée sous contrôle judiciaire pour des faits de violences volontaires sur mineur de 15 ans avec usage d’une baguette: une badine en osier de 4o cm de long, symbole de l’autorité. Car ici, alors que la fessée a été interdite l’été dernier en France, les enfants semblent avoir la vie dure. Aussi dure que les
coups décrits par plusieurs anciens membres, souvent sous couvert d’anonymat puisque des parents, des frères et soeurs, un(e)conjoint(e) risquent fort de s’y trouver toujours. Les témoins ont évoqué au fil des ans des coups sur les fesses, nu ou à travers les vêtements; sur la paume de la main ou sous les pieds . Des coups sur les plus petits dès qu’ils savent marcher et «pour les plus grands, à partir de 15 ans, à l’aide de branches de palmier.» Jamais directement avec Ia main, censée prodiguer soin et affection. Une des règles en vigueur est que les adultes sont responsables de tous les enfants. Et pourraient sanctionner et frapper qui ils veulent.
C’est ici que le drame s’est déroulé. Dans ce hameau devenu depuis une quarantaine d’années le fief français de cette organisation d’inspiration chrétienne protestante, née aux États-Unis et installée dans une douzaine de pays européens, connue sous les noms d’Ordre apostolique, Douze tribus ou Ruben and Brothers .Ici, pas de gourou en particulier. Mais un conseil composé de membres âgés qui décide des grandes orientations du groupe. En décembre dernier, les gendarmes ont une nouvelle fois perquisitionné le domaine qui, malgré les enquêtes, les plaintes, les perquisitions,demeure ouvert et même s’agrandit alors que l’organisation a été interdite en Allemagne. Onze personnes parmi la centaine d’adeptes ont été entendues. Une mère de famille a été mise en examen et placée sous contrôle judiciaire pour des faits de violences volontaires sur mineur de 15 ans avec usage d’une baguette: une badine en osier de 4o cm de long, symbole de l’autorité. Car ici, alors que la fessée a été interdite l’été dernier en France, les enfants semblent avoir la vie dure. Aussi dure que les
coups décrits par plusieurs anciens membres, souvent sous couvert d’anonymat puisque des parents, des frères et soeurs, un(e)conjoint(e) risquent fort de s’y trouver toujours. Les témoins ont évoqué au fil des ans des coups sur les fesses, nu ou à travers les vêtements; sur la paume de la main ou sous les pieds . Des coups sur les plus petits dès qu’ils savent marcher et «pour les plus grands, à partir de 15 ans, à l’aide de branches de palmier.» Jamais directement avec Ia main, censée prodiguer soin et affection. Une des règles en vigueur est que les adultes sont responsables de tous les enfants. Et pourraient sanctionner et frapper qui ils veulent.
Élodie(‘) est restée dix jours avant de fuir: « J’avais le sentiment que les enfants n’étaient pas vraiment les enfants de leurs parents mais qu’ils appartenaient à la communauté tout entière. >>
Situé au coeur du village, face à l’école et à l’église, Ie lieu impressionne.Un château, quatre corps de ferme, un gigantesque jardin potager, des néfliers. Et une vaste maison de bois en forme de soucoupe volante, illuminée à la nuit tombée par des lampadaires blancs et ronds. Pas de grille mais des pancartes « Bienvenue» et «Vente à la ferme ». Dans l’une des cours, deux femmes,la soixantaine, discutent en buvant du maté. Elles tiennent l’épicerie biologique où on trouve poireaux, pommes, olives à 2€ le bocal. Comme toutes les femmes de Tabitha, elles portent obligatoirement les cheveux longs. La barbe et le chignon sont de rigueur pour les hommes. Ni maquillage, ni bijoux, ni montre: interdit.Comme celle de toutes les autres, leur tenue rappelle celle des Amish d’Amérique du Nord: tuniques et jupes de lin grossièrement coupées, pour cacher les formes.
On est frappé par le nombre de femmes et d’enfants, de très jeunes enfants. T-shirts et sweats sans inscription, gros pantalons,bermudas ou jupes de toile épaisse. Des bruits de tronçonneuse,un enfant qui pleure, d’autres qui courent joyeusement. À l’intérieur du domaine, on trouve une salle de classe, comme celle des vraies écoles, sauf que les manuels scolaires sont remplacés par la Bible et des textes rédigés en interne. Une menuiserie,une bergerie, une boulangerie mais pas d’infirmerie: l’usage des médicaments est totalement proscrit et décrété « satanique ».
On est frappé par le nombre de femmes et d’enfants, de très jeunes enfants. T-shirts et sweats sans inscription, gros pantalons,bermudas ou jupes de toile épaisse. Des bruits de tronçonneuse,un enfant qui pleure, d’autres qui courent joyeusement. À l’intérieur du domaine, on trouve une salle de classe, comme celle des vraies écoles, sauf que les manuels scolaires sont remplacés par la Bible et des textes rédigés en interne. Une menuiserie,une bergerie, une boulangerie mais pas d’infirmerie: l’usage des médicaments est totalement proscrit et décrété « satanique ».
Deux hommes se dirigent vers nous. La vingtaine, sourires forcés,regards perçants et soupçonneux. Ils parlent avec un léger accent étranger, demandent ce que t’on fait là, exigent doucement mais fermement que l’on n’aille pas plus loin. « On en amarre », lâche I’un des deux. À chaque fois que vous venez, vous, les journalistes, ça ne nous apporte que des problèmes. Vous venez tout gentils, vous dites que vous allez nous écouter et après les gendarmes débarquent. De toute façon on n’a rien à vous dire ! »
Présidente du Centre contre les manipulations mentales de Midi Pyrénées,basé à Toulouse où Tabitha s’implante un peu plus chaque jour, Simone Risch soupire.
On parle de corrections infligées pour purifier les enfants et garantir leur salut
La perquisition de décembre 2019, qui avait suivi une opération spectaculaire – deux cents gendarmes déployés au petit matin – quatre ans plus tôt?. « La énième descente de gendarmerie, la énième mise en examen mais aussi la énième journée dramatique pour les victimes qui sont encore à I’intérieur. Le procureur en poste en 2o15 a évoqué les violences faites aux enfants, le travail dissimulé, I’absence de scolarisation et de vaccination des enfants. Et que se passe-t-il? Rien ».
Défendue par Me Françoise Selles (qui n’a pas souhaité nous rencontrer), auparavant par Maitre Pierre Pécastaing, qui défendit le révisionniste Robert Faurisson, Jean-Marie Le Pen ou Jean-Bedel Bokassa, Tabitha rêve de grandeur.
Selon un maire des environs, elle dépenserait des fortunes dans I’acquisition de terrains, proposant des tarifs largement au,dessus des prix du marché.
« Ils sont bourrés de fric alors que quand on les voit, on leur donnerait volontiers une pièce, remarque cet élu. IL faut les surveiller comme le lait sur le feu. En réalité, il n’existe pas de texte de loi spécifique pour pouvoir les contrer On ne sait pas où ils s’arrêteront mais une chose est sûre, le jour où ils se présenteront aux élections municipales, ils prendront la mairie. C’est une organisation tentaculaire. »
Année après année, alors que le juge des enfants devrait enfin être saisi, les témoignages des rares personnes ayant pu s’enfuir s’accumulent. Et ils se ressemblent. Des membres les accosteraient sur l’un des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle,dans un gîte des environs ou dans la rue, comme Cédric(,): les mecs te retournent le cerveau- Ils te baptisent, changent ton prénom. Tu lis la Bible tout le temps, tu es surveille tout le temps. On oblige les enfants à jeter leurs jouets au.feu. La vie là-bas c’est: Travaille,tais toi et écoute !
La secte recruterait très souvent sur des marchés.
« On était parti passer quatre jours qui ont duré cinq ans et demi » …
comme Sophie, qui a finalement pu s’enfuir: » Il ne s’agit pas de recrutement à proprement parler. Le processus est beaucoup plus insidieux et difficile à percevoir puisqu’il s’agit de manipulation mentale.Ensuite, si vous mordez à I’hameçon, si vous êtes sensible aux valeurs mises en avant telles que la communauté, l’écologie, la fraternité ou la vie spirituelle, vous avez des chances de vous rendre sur place. Là,vous serez applaudi et flatté par des dizaines de personnes. Et si vous avez des failles affectives, vous aurez vite fait d’être coincé. » Elle est aussi frappée par «leur mauvaise estime de soi »: si vous vous sentez souillé, mal dans votre peau, on vous vendra votre salut et le rachat de votre pureté au prix de votre vie. Il s’agit de remettre sa liberté entre les mains d’autrui, sous le haut contrôle du comité des patriarches censé savoir ce qui est bon pour vous et comment faire usage de votre vie. Tout le reste n’est que connivence. Mais toujours avec beaucoup de sourires.
Me Jean-François Blanco défend un autre ancien adepte, Denis,entré dans la communauté en 1988. « Une enquête a été ouverte en2014 pour (entre autres)violences avec usage ou menace d’une arme, violences par ascendant ou personne ayant autorité, travail dissimulé, exercice illégal de la profession de médecin et de chirurgien-dentiste. » Depuis ? Rien.
« La justice est inerte et inefficace « accuse I’avocat. On parle quand même de corrections infligées pour « purifier les enfants et garantir leur salut ». Je m’interroge: est-ce que la justice ne veut pas s’attaquer à cette secte ? »
« J’incarnais la parole de Satan »
Dans un reportage(, diffusé sur Canal+ en 2007au lendemain de l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire qui
n’avait débouché sur rien, une adolescente racontait comment elle avait, elle aussi, reçu de violents coups de baguette, parfois plusieurs fois par iour, avant d’être obligée de remercier publiquement pour le châtiment. Sa mère, Anne-Marie, soupirait:« On était parti passer quatre jours qui ont duré cinq ans et demi. Sophie ajoute : « La correction physique, qui commence dès l’âge de 6 mois, n’est que la partie visible de dressage à laquelle les enfants sont soumis. Dès leur plus jeune âge ,ils assistent aux réunions biquotidiennes avec crises de larmes régulières ou exaltation fanatique. On m’a aussi clairement dit que si l’enfant n’obéissait pas à la première injonction il était corrigé. J’ai vu la salle et les baguettes d’osier destinées à la correction. J’ai vu des mères accompagnées de leurs bébés lors des deux messes quotidiennes qui,dès qu’ils émettaient un son ou se mettaient à pleurer,leur collaient la main sur la bouche pour les faire taire. J’ajoute que les enfants n’ont pas le droit d’entrer librement en contact entre eux. Ils manquent de sommeil. Par ailleurs,le minimum est fait quant à leur instruction, il s’agit juste de berner les services de l’Education nationale pour que ça passe. C’est une vaste simulation ».
n’avait débouché sur rien, une adolescente racontait comment elle avait, elle aussi, reçu de violents coups de baguette, parfois plusieurs fois par iour, avant d’être obligée de remercier publiquement pour le châtiment. Sa mère, Anne-Marie, soupirait:« On était parti passer quatre jours qui ont duré cinq ans et demi. Sophie ajoute : « La correction physique, qui commence dès l’âge de 6 mois, n’est que la partie visible de dressage à laquelle les enfants sont soumis. Dès leur plus jeune âge ,ils assistent aux réunions biquotidiennes avec crises de larmes régulières ou exaltation fanatique. On m’a aussi clairement dit que si l’enfant n’obéissait pas à la première injonction il était corrigé. J’ai vu la salle et les baguettes d’osier destinées à la correction. J’ai vu des mères accompagnées de leurs bébés lors des deux messes quotidiennes qui,dès qu’ils émettaient un son ou se mettaient à pleurer,leur collaient la main sur la bouche pour les faire taire. J’ajoute que les enfants n’ont pas le droit d’entrer librement en contact entre eux. Ils manquent de sommeil. Par ailleurs,le minimum est fait quant à leur instruction, il s’agit juste de berner les services de l’Education nationale pour que ça passe. C’est une vaste simulation ».
Comme le dénonce la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui suit Tabitha depuis près de vingt ans et parle de «quasi-aliénation » des enfants, totalement isolés du monde extérieur, seraient levés à 6 heures du matin, consacreraient leurs journées à recevoir un enseignement et à travailler avec leurs parents et n’ auraient pas le droit de posséder des jouets. » Les punitions physiques sont réglementées et graduées: les enfants sont régulièrement frappés à l’aide d’une baguette en osier ou d’une règle, l’usage et la zone frappée dependent de la gravite de la faute et l’âge de l’enfant. Les adeptes invoquent un verset de Ia Bible pour justifier ces punitions:« La folie est liée au coeur des enfants; le bâton qui les châtie les en éloignera. »Sophie parle d’une « violence inouïe ». Si je peux faire passer un message aux personnes qui sont piégées ou seraient tentées de rejoindre ce mouvement, je leur dirais: « Fuyez, il est toujours temps! Les Douze Tribus sont des menteurs, ils apprennent la voie de l’esclavage sous le discours de l’amour. »
Parfois, la Justice ordonne le placement de quelques enfants. Mais les autres?
Déjà, en r9g7,l’aide sociale à l’enfance était venue frapper à la porte et avait demandé à rentrer. Les dirigeants de Tabitha avaient refusé.
M » Claude Garcia défendit Michel et Dagmar, les parents de RaphaëI,lors de leur premier procès et plaida l’emprise dont ils étaient, à ses yeux, les victimes. « Le père était relativement ouvert d’esprit mais la secte, qui avait ordonné de soigner le bébé avec du miel et des plantes, lui faisait passer des messages en prison, dans des exemplaires de la Bible, pour lui dire de me dessaisir, se souvient-il.La mère était beaucoup plus radicale: j’incarnais la parole de Satan- » L’avocatdu diable, en quelque sorte. Depuis, les parents ont été libérés. Les militants d’Info-sectes -Centre Contre Les Manipulations Mentales les croisent encore sur les marchés de Toulouse, notamment dans le quartier de Saint-Aubin, sur l’un des stands tenus par Tabitha. Ils sont là,vendant fruits et légumes, vantant aux badauds, aux clients, aux curieux, les mérites de leur communauté. Ils sont là, ils sourient.Toujours accompagnés de leurs autres enfants.
source : Marie – Claire Mars 2020
enquête par Alexandre Duyck