Après l’ouverture d’une enquête pour assassinat en Belgique visant la secte des Brigandes, installée à La Salvetat-sur-Agoût (Hérault), une ancienne adepte, Annick Lovinfosse, raconte l’embrigadement. C’est l’un des témoins clés de cette affaire.

Lorsqu’elle fait la connaissance de Joël Labruyère à Rouen en septembre 2001, Annick Lovinfosse ignore qu’elle vient d’entamer une relation de 12 ans qui la fera devenir adepte d’une communauté sectaire pendant près de neuf ans. Elle est finalement parvenue à se sauver en 2013, et est aujourd’hui le témoin central d’une enquête pour assassinat ouverte en Belgique en septembre 2019.

Une enquête qui vise directement la « Nation libre », ancien nom de la communauté dirigée par Joël Labruyère, installée depuis 2015 à La Salvetat-sur-Agoût, et qui abrite le groupe de musique identitaire « Les Brigandes ». C’est par eux que Sophie, une adepte atteinte d’un cancer, aurait été incitée à ne pas se soigner et aurait été étouffée pour abréger ses souffrances en octobre 2011, selon L’Obs.

Plus de quarante jours d’agonie

Le diagnostic du cancer de l’utérus de Sophie, qui se faisait appeler « Suari » (un prénom elfique), tombe en juillet 2011. À l’époque membre de la secte, Annick Lovinfosse a raconté cette période aux enquêteurs. « Elle n’était pas du tout en fin de vie. On n’est pas en fin de vie à 39 ans quand on a appris seulement un mois et demi avant qu’on a un cancer de l’utérus, se rappelle-t-elle. Elle avait plus ou moins envie de se soigner quand même : une mère de deux jeunes enfants, même imbibée d’idées fausses, a envie de vivre. »

« Labruyère décide vraiment de tout. Pour lui, c’est un grand fantasme initiatique de mourir de faim et de soif. »

Mais selon Annick Lovinfosse, le groupe a rapidement dissuadée Sophie d’essayer de guérir« Elle a cherché des pistes pour se soigner mais ça a vite été découragé en interne. Labruyère décide vraiment de tout. Pour lui, c’est un grand fantasme initiatique de mourir de faim et de soif. Et puis un jour, il a mis son plus beau costume, il est parti dans la maison isolée où il l’avait reléguée. Il est parti pour lui annoncer qu’il faudrait en finir », affirme cette ancienne adepte, qui a été longtemps la maîtresse de Joël Labruyère.

Le jeûne dure une quarantaine de jours. « Au bout d’un long moment, autant la victime que les femmes qui la veillaient n’en pouvaient plus, raconte Annick Lovinfosse. Il semblerait que Sophie ait demandé à ce qu’on en finisse. Et effectivement, tout le monde allait dans ce sens-là, de ne plus en pouvoir de cette torture ». Selon Annick Lovinfosse, elle aurait été tuée sur ordre de Joël Labruyère. « J’ai vu la décision se prendre« , raconte la sexagénaire.

Les ressorts psychologiques de l’embrigadement

Comment comprendre qu’une femme de 39 ans accepte de se laisser mourir de faim et de soif à la demande d’un groupe ? « Elle était particulièrement zélée, avec un caractère très passionné, analyse Annick Lovinfosse. Son dévouement s’est transformé en fanatisme. En plus elle était totalement soumise à Labruyère, elle était sa maîtresse. Et puis elle avait des responsabilités dans le groupe, elle devait montrer son mépris de la mort et de l’obéissance au chef ».

Derrière la mort de Sophie, se cachent des logiques d’embrigadement et de groupe qu’Annick Lovinfosse a elle-même expérimentées autour de la personnalité du chef du clan, Joël Labruyère. « Un pervers narcissique qui enrobe tout ça d’ésotérisme, résume-t-elle. Avec ces longs monologues lors des dîners, il est le centre de l’attention de la communauté. C’est un manipulateur de première catégorie. On se vide complètement de sa capacité à penser des choses par soi-même. Perdre cette référence-là, c’est tout perdre ».

« C’est un système psychologique complètement fou, doublé de théories ésotériques complètement folles elles aussi. »

Pendant les neuf ans qu’elle a passés auprès de la « Nation libre », Sophie a plusieurs fois réussi à fuir avant d’être rappelée. En 2013, elle parvient finalement à se détacher complètement. « Je n’avais plus la force de revenir, souffle-t-elle. J’étais invitée au suicide là-basde manière assez régulière ! Il a quasiment réussi à avoir ma peau ».

Trois ans plus tard, en 2016, Annick Lovinfosse décide de prendre la parole publiquement, dans la presse notamment, pour alerter. « J’étais très très bas. Puis j’ai compris l’aspect psychologique de la perversité du système. Il a fallu faire tout un travail de détricotage des théories spirituelles et politiques qui étaient derrière ». 

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source :

Mercredi 22 janvier 2020 –

Par Elena Louazon, France Bleu Hérault, France Bleu

https://www.francebleu.fr/infos/societe/temoignage-annick-lovinfosse-ancienne-membre-secte-les-brigandes-salvetat-1579454530