Coachs, astrologues, professeurs de yoga distillent aujourd’hui leurs recettes de bonheur au plus grand nombre sur les réseaux sociaux ou lors d’ateliers et de conférences. Une hypermédiatisation qui n’est pas sans contre-indication.

Avez-vous ouvert vos chakras, répété vos mantras, fait monter votre énergie kundalini, booké votre prochaine retraite transformationnelle et fait attention à ne pas rater le passage de Mercure devant la pleine Lune pour vous débarrasser des vieilles croyances qui vous empêchent d’avancer dans la vie ? A force de fréquenter les réseaux sociaux, on finit par accumuler les pratiques bien-être, les pensées magiques et les lectures sur le développement personnel (ou s’en vouloir si on ne le fait pas). Mais va-t-on vraiment mieux ? Ce n’est pas si sûr…

« On est entré dans l’époque du « fast bien-être ». On consomme une multitude de disciplines en même temps, en voulant une efficacité immédiate. Tout le monde court et veut tout, tout de suite. Or cette approche ne fait qu’ajouter de l’agitation à celle déjà existante », constate Léonard Anthony, auteur de Qu’est-ce que l’hypnose de François Roustang et Fatigue, aux éditions Flammarion/ Versilio. Selon le psychologue Edgar Cabanas et la sociologue Eva Illouz, auteurs du livre Happycratie, aux éditions Premier Parallèle, la « science du bonheur » aurait même tendance à entretenir un certain degré de mal-être, voire à le provoquer, notamment parce qu’elle nous rend entièrement responsables de ce qui nous arrive : « Ne pas être heureux, ne pas être en mesure de se sentir heureux, est donc de plus en plus vécu comme une tare, une source de honte : le signe d’une volonté amoindrie, d’une psyché dysfonctionnelle, et même d’un itinéraire de vie marqué par l’échec. » On peut en effet vite être gagné par la sensation de ne pas mettre assez d’énergie positive dans nos actions, de ne pas prendre assez de temps pour soi, de ne pas pratiquer assez de yoga kundalini, de ne pas réussir à se lever assez tôt pour vivre le « miracle morning » Le bien-aller est devenu une nouvelle injonction qui nous alourdit d’une culpabilité supplémentaire. Sans compter qu’il induit l’idée, toxique, que l’on ne va pas assez bien et que l’on se doit de tout faire pour aller mieux. Alors que les choses ne vont généralement pas si mal, si on les regarde avec honnêteté et sans le filtre d’Instagram. Edgar Cabanas et Eva Illouz parlent d' »happycondriaques » : « Des consommateurs persuadés que la manière de vivre normale, la plus fonctionnelle, consiste à scruter son moi, à toujours se soucier de corriger ses défauts psychologiques, pour s’améliorer en permanence. »

L’expérience du soi

Tout le développement personnel n’est pourtant pas à rejeter en bloc, bien au contraire. Il s’agit de réussir à prendre les choses avec la juste distance. « Ces messages que l’on perçoit via les réseaux, les livres, les rencontres, peuvent permettre d’éclairer des zones d’ombre sur soi-même et de déclencher un processus positif. Ce sont les prises de conscience successives qui a mènent un changement », estime la sophrologue Veronica Brown. Un avis que partage Léonard Anthony : « L’essentiel est de ne pas se projeter aveuglément dans l’expérience de l’autre, mais de chercher à identifier ce qui nous convient personnellement. Ce n’est pas parce que tel ami dit avoir trouvé l’équilibre ou le sommeil dans la méditation que c’est une « recette » qui fonctionne à tous les coups. « La clé d’entrée dans une pratique n’est pas son efficacité. Ça n’est pas fait pour marcher, mais pour permettre d’être bien avec soi-même », insiste Elodie Garamond, fondatrice des Tigre Yoga Clubs. Ce qui s’opère est rarement spectaculaire, contrairement à ce que l’on veut souvent nous faire croire. On ne va pas forcément claquer la porte de son ancien boulot, changer de corps ou se découvrir des talents d’artiste. On ne va pas non plus régler de vrais problèmes de fond en quelques respirations. « Pour cela, il y a la thérapie, et c’est autre chose. Le développement personnel ne répond pas à un objectif, c’est un chemin de vie », résume Léonard Anthony. Et sur ce chemin, on pourra peut-être petit à petit s’aimer un peu mieux, avant de s’aimer vraiment. « C’est la vraie finalité. Mais on a tendance à tourner autour du problème en multipliant les disciplines ou en faisant preuve d’une dévotion totale à l’une d’elles ou à un « gourou » auquel on porte un amour inconditionnel », poursuit Elodie Garamond.

L’éveil des sens

Comment faire le tri dans toutes les informations que l’on reçoit et identifier ce qui nous fait du bien ? « La première chose à faire est de ne rien faire, de ralentir. On ne peut pas explorer en courant », assure Léonard Anthony. Ensuite, on peut tester une pratique, puis une autre, en prenant soin de ressentir ce que cela provoque en nous. Une fois que l’on tient quelque chose qui nous touche, qui nous fait du bien, que l’on fait la rencontre d’un professeur qui nous élève, on l’intègre à sa vie, pas pour trois cours, pas pour un mois, mais au long cours. Pour se laisser cueillir par ce qui nous arrive, il est important de ne pas nourrir d’attentes, mais d’avoir ses sens en éveil. Une attitude qui vaut pour tous les moments de la vie, décrite avec finesse par Sylvain Tesson dans La Panthère des neiges, roman paru en octobre aux éditions Gallimard : « L’affût commande de tenir son âme en haleine. L’exercice m’avait révélé un secret : on gagne toujours à augmenter les réglages de sa propre fréquence de réception. Se tenir à l’affût est une ligne d e conduite. Ainsi la vie ne passe-t-elle pas l’air de rien. On peut tenir l’affût sous le tilleul en bas de chez soi, devant les nuages du ciel et même à la table de ses amis. Dans ce monde, il survient plus de choses qu’on ne le croit. » Les clés du développement personnel ne sont pas forcément là où on les attend.

source :

 

Grazia

Par Claire Dhouailly

Le 05 janvier 2020

https://www.grazia.fr/beaute/forme-minceur/wellness-faut-il-croire-les-nouveaux-gourous-947031