Une ex-responsable de l’ancien Collège Grenville de Brockville, en Ontario, affirme que la prestigieuse institution chrétienne avait de bonnes intentions, malgré les mauvais traitements dont étaient victimes les pensionnaires. Plus de 1300 anciens élèves poursuivent l’ancien établissement dans un recours collectif qui a reçu l’approbation des tribunaux en 2008.
Joan Childs témoigne au procès civil contre les prêtres Alastair Haig et Charles Farnworth, deux anciens directeurs de l’établissement privé qui a fermé ses portes en 2007. Le Collège appartenait à la Communauté de Jésus, un ordre œcuménique rattaché au diocèse anglican de l’Ontario.
Les deux intimés sont toutefois morts en 2009 et 2015, si bien que ce sont leurs épouses et leurs héritiers ainsi que les assureurs du Collège Grenville, qui font face à un recours estimé à 200 millions de dollars pour l’instant.
Le prêtre Charles Farnsworth dirigeait le Collège Grenville à l’époque des faits reprochés.
Les faits reprochés se seraient produits de 1973 à 1997. Selon la défense des plaignants, les élèves de Grenville y subissaient des sévices physiques, psychologiques et sexuels. La défense du Collège et des deux intimés parle davantage de discipline que de sévices.
À la suite d’une enquête, la Police provinciale de l’Ontario avait décidé en 2008 de ne déposer aucune accusation criminelle contre l’établissement.
Si les allégations des plaignants sont avérées, les audiences portant sur les dommages et intérêts débuteront à une date ultérieure. Pour l’heure, la juge Janet Leiper, de la Cour supérieure de l’Ontario, doit décider si la direction de l’ancien collège a manqué à son devoir de protéger les jeunes dont il avait la responsabilité.
Joan Childs, qui était la numéro 2 de l’établissement à un moment donné, explique à la barre qu’elle a attendu dix ans avant d’envoyer une lettre d’excuses aux plaignants en 2007, parce qu’il fallait du temps au personnel du collège pour comprendre ce qui s’y était passé avant d’entamer un processus de guérison.
La lettre, bien qu’écrite de façon maladroite, visait à présenter nos regrets et à nous faire pardonner après un an de réflexion sur ce que nous leur avions fait subir.
Joan Childs, ancienne responsable du Collège Grenville
Elle explique qu’elle et d’autres membres de la direction avaient pris le temps des années plus tard de s’informer sur la différence entre des mesures disciplinaires et des sévices pour savoir dans quelle catégorie entraient les châtiments qui étaient administrés à Grenville.
Le corridor principal menant aux différentes salles de classe au Collège Grenville.
Nous débattions à savoir si nos mesures disciplinaires étaient raisonnables à l’époque avant de comprendre que ce n’était pas la bonne approche à adopter, précise-t-elle devant un prétoire rempli d’anciens élèves. Nous pensions que c’était la meilleure chose à faire à ce moment-là et je souhaite que nous ayons pu en faire plus.
Mme Childs assure néanmoins que les intentions de la direction étaient bonnes et empreintes de valeurs chrétiennes. Nos élèves n’étaient toutefois pas comblés par les honneurs qu’ils recevaient pour leurs accomplissements, parce qu’ils étaient trop souvent soumis à la discipline.
Elle souligne qu’elle était forcée par les deux anciens directeurs d’humilier et d’administrer des châtiments corporels aux pensionnaires sous peine de faire elle-même face à des mesures de représailles.
Mme Childs ajoute que les choses ont commencé à changer après le départ de M. Farnsworth à la fin des années 1990. À entendre les lettres qu’elle a écrites à l’époque, elle reconnaît qu’il était toutefois trop tard pour redresser la situation financière du collège qui a finalement fermé ses portes faute d’inscriptions.
Dans ses arguments d’ouverture, l’avocate des plaignants, Loretta Merritt, avait expliqué lundi que MM. Haig et Farnsworth contrôlaient toute la vie des pensionnaires de leur choix de fréquentations jusqu’à la couleur de leurs sous-vêtements dans l’unique but de les casser.
Me Merritt avait soutenu que ses clients avaient été humiliés en public et battus avec une pagaie en bois pour briser leur autonomie et leur esprit d’indépendance. Il fallait en faire de bons chrétiens, avait-elle conclu.
Le début du procès a révélé que les plaignants étaient obligés de confesser des pêchés comme l’envie ou la jalousie.
Me Merritt avait affirmé qu’un système de délation permettait aux deux anciens directeurs de tout savoir et de punir ceux qui n’obéissaient pas, que ce soit des élèves, des enseignants ou des membres du personnel.
L’ancienne enseignante d’anglais, Margaret Maybarry, témoigne à ce sujet après avoir raconté qu’elle avait été embauchée en 1980. Elle y avait emménagé dans les quartiers pour le personnel situés à même le pensionnat pour filles et garçons.
J’y occupais des fonctions d’enseignante, mais aussi d’entraîneuse sportive et de surveillante de dortoirs, explique l’Américaine originaire de Rochester, dans l’État de New York.
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Elle explique que la discipline y était très sévère et que les membres du personnel étaient soumis à des sessions de discipline en groupe. M. Farnsworth m’a obligé à confesser mes premières relations sexuelles, avoue-t-elle.
Mme Maybarry explique qu’il fallait lui obéir au doigt et à l’œil et qu’on ne pouvait remettre en question ses décisions sous peine d’être punie ou humiliée.
On faisait ce qu’on nous disait de faire, c’était un système totalitaire, Farnsworth se prenait pour le porte-parole de Dieu.
Margaret Maybarry, ancienne enseignante
Elle ajoute qu’elle avait écrit à l’époque à l’évêque du diocèse local pour l’avertir de ce qui se passait à Grenville après avoir pris un congé de maladie pour stress et épuisement émotionnel. Je voulais le prévenir de nos souffrances, nous étions bien plus dans une secte avec un leadership dictatorial que dans un collège à vocation chrétienne, conclut-elle.
Son témoignage se poursuit jeudi.
source :
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1306900/poursuite-college-grenville-sevices-discipline-communaute-jesus-secte-ontario par Jean-Philippe Nadeau