«Les plus pauvres sont dans l’angle mort de la stratégie gouvernementale», affirme un collectif de responsables d’associations dans leur réponse au délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté, qui s’est exprimé dans Mediapart jeudi 12 septembre. Laissant «sur le bas-côté» une grande part des populations précaires, cette politique «ne réunit pas les conditions nécessaires à l’éradication de la grande pauvreté».

 

Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté a présenté lors d’une interview dans Mediapart le 12 septembre dernier les avancées de la stratégie pauvreté après un an de mise en œuvre, avec le talent et l’engagement que nous lui connaissons. Les associations reconnaissent les avancées positives que constituent par exemple l’accès aux cantines et aux crèches des enfants issus de familles en difficulté et plus globalement la nécessité de lutter contre les inégalités de destins en s’attaquant aux racines de la pauvreté dès l’enfance. Comme elles reconnaissent aussi l’engagement financier significatif de l’Etat pour créer des postes d’insertion par l’activité économique accessibles aux personnes les plus éloignés de l’emploi (+ 20 000 salariés en insertion par an) qui intervient après la suppression depuis 2017 de près de 200 000 contrats aidés.

Cependant, certaines affirmations méritent d’être discutées. Les associations considèrent tout d’abord qu’une part importante de la population la plus pauvre, celle qui vit des minima sociaux, notamment le RSA et l’ASS sans activité professionnelle régulière a plutôt vu ses conditions de vie se dégrader depuis 2017 avec la baisse des APL et la désindexation de plusieurs prestations de l’inflation (APL, allocations familiales…). Ces ménages qui subissent l’augmentation du coût de la vie (essence, électricité, logement dans les métropoles…) sont dans l’angle mort de la stratégie pauvreté. C’est le cas des 2 millions de ménages allocataires du RSA qui ne bénéficient ni des baisses d’impôts ni de la revalorisation de la prime d’activité. « Il y a bel et bien eu un rattrapage du RSA justifié par des années de gel » comme l’indique le délégué interministériel. Mais c’était sous le quinquennat Hollande ou les associations ont obtenu une revalorisation de 10 % du RSA en plus de l’inflation. Depuis 2017, aucun coup de pouce n’a été accordé à cette partie la plus pauvre de la population. Et que dire de l’impact à venir du durcissement des conditions d’indemnisation du chômage qui va mécaniquement faire basculer dans la pauvreté des centaines de milliers de chômeurs ? En défendant la revalorisation du RSA, les associations « reviendraient sur une lecture ancienne de la lutte contre la pauvreté qui a montré ses limites depuis des décennies » : les personnes qui survivent péniblement au quotidien avec 550 € par mois apprécieront cette nouvelle vision de la modernité.

Les personnes et les familles à la rue ne sont pas non plus dans la cible prioritaire de la stratégie pauvreté.  Contrairement à ce qui est indiqué, le plan d’économie de 57 millions d’€ sur les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) n’est pas annulé par la stratégie pauvreté. Les CHRS ont subi en 2018 une première coupe très dure de 20 millions d’€ qui n’a jamais été compensée, obligeant certaines structures à licencier du personnel et à réduire l’accompagnement social et les prestations alimentaires proposés aux personnes sans domicile fixe. En 2019, une nouvelle coupe budgétaire de 12 millions d’€ qui s’ajoute à l’effort demandé en 2018 est imposée au CHRS, compensée cette fois par une enveloppe de 10 millions issue de la stratégie. C’est pourquoi les associations demandent un moratoire immédiat sur ce plan d’économie et un plan de création de places au moment où le nombre de personnes sans-abri, en particulier des familles avec enfants, augmentent de manière inquiétante dans les grandes villes.

Enfin les personnes migrantes, demandeurs d’asile ou exilées, qui constituent pourtant une frange importante des personnes à très faibles ressources et qui subissent des conditions de vie très précaires sont exclues depuis 2018 du périmètre de la stratégie pauvreté. Comme si ces personnes et ces familles – qui comptent parmi les plus pauvres – ne relevaient plus des politiques sociales et de la solidarité nationale mais de mesures d’ordre public. Si on s’inquiète, à juste titre, de la menace d’une restriction de l’Aide Médicale d’Etat pour la santé publique et l’accès aux soins des plus précaires, ce sujet pourtant majeur est jugé « hors du champ direct de la stratégie pauvreté ».

En conclusion, la stratégie de lutte contre la pauvreté contient un grand nombre d’avancées sur la prévention, l’accès aux droits, la lutte contre « les inégalités de naissance » et l’accompagnement vers l’emploi qui engageront pleinement les associations au côté de l’Etat, des collectivités locales et des personnes qui vivent la pauvreté au quotidien. Mais elle laisse sur le bas-côté une partie significative des populations les plus précaires qu’il est urgent de soutenir et d’accompagner selon des principes d’universalité et d’inconditionnalité nécessaires à l’éradication de la grande pauvreté.

source : mediapart

Signataires :

Christophe Devys, Président du collectif ALERTE

Florent Guéguen, Directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité

Claire Hédon, Présidente d’ATD Quart Monde

Yannick Le Bihan, Directeur des opérations France de Médecins du Monde

Jean-François Maruszyczak, Directeur général d’Emmaüs France

Jean Merckaert, Direction Action Plaidoyer France Europe du Secours Catholique

Christophe Robert, Délégué général de la Fondation Abbé Pierre

Alain Villez, Président des Petits frères des pauvres

Jérôme Voiturier, Directeur général de l’Uniopss