Avec ce film sur une grand-mère tentant d’empêcher le départ pour la Syrie de son petit-fils, André Téchiné signe un film subtil et captivant. C’est comme si on l’avait vraiment retrouvé, le grand cinéaste qu’est André Téchiné, plus romanesque et plus poignant que jamais. Surtout après l’improbable Nos années folles (2017) que presque tout le monde a oublié malgré les prestations de Pierre Deladonchamps en Poilu travesti de retour des tranchées et de Céline Sallette en épouse intrépide… Les retrouvailles d’André Téchiné avec Catherine Deneuve n’y sont pas pour rien dans ce nouveau film qui est une réussite absolue. C’est leur huitième collaboration. Et c’est une nouvelle fois l’histoire d’un couple atypique et prometteur comme dans Hôtel des Amériques (1981), Ma saison préférée (1993) ou La Fille du RER (2009).
A la femme fatale que séduit un paumé magnifique (Patrick Dewaere), au frère bousculé (Daniel Auteuil) par sa sœur et à la mère dépassée par sa fille (Emilie Dequenne) répondent, dans L’Adieu à la nuit, une grand-mère bien terrienne qui se voit confrontée à un petit-fils fragile et têtu. Catherine Deneuve – après La Dernière folie de Claire Darling, la récente et tristounette guignolade de Julie Bertucelli – est magistrale dans ce rôle de Muriel qui dirige un centre équestre dans les Pyrénées-Orientales, à quelques coudées de la Méditerranée. Elle y reçoit pour quelques jours son petit-fils Alex, orphelin de mère (la fille de Muriel), dont le père a refait sa vie en Guadeloupe et qui se prépare à partir pour Montréal. Alex retrouve la jolie Lila, une musulmane dont il est amoureux depuis les années-collège. Muriel découvre fortuitement qu’Alex s’est converti à l’islam radical et qu’au lieu de rejoindre le Québec, il est partant pour la Syrie et la lutte armée des djihadistes. On ne peut pas ne pas penser à ces deux superbes films que sont Mon cher enfant (Mohamed Ben Attia, 2018) et La Désintégration (Philippe Faucon, 2012). André Téchiné s’empare de ce sujet brûlant avec un tact époustouflant.
Sans esquiver l’indispensable réalisme inhérent à un tel contexte politico-affectif, il fait émerger dans la fluide image gérée par l’immense chef-opérateur qu’est Julien Hirsch, entre la noirceur d’une éclipse et la splendeur solaire des vergers, tous les tourments qui assaillent la rationnelle Muriel et l’obstiné Alex et qui révèlent des malaises existentiels profonds. C’est le genre de scénario casse-gueule, menacé de pathos grassouillet, qu’André Téchiné met en images mouvantes et en silences bruyants. Il réussit à nous captiver en déroulant quelques journées du printemps 2015, juste entre l’attentat contre Charlie-Hebdo et celui du Bataclan, comme dans un thriller centré sur une femme désemparée enflammée par son instinct maternel et un garçon intransigeant quoique perdu. Catherine Deneuve trouve là un de ses plus beaux rôles et Kacey Mottet-Klein, tout en subtiles nuances comme toujours (Continuer, L’Enfant d’en haut ou, déjà avec André Téchiné, Quand on a 17 ans) incarne littéralement Alex en vibrant tel un affolant diapason face à elle, toujours radieuse.
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Par Fernand-Joseph Meyer
lasemaine.fr