A la tête d’une association de dissidents catholiques extrémistes, un abbé était jugé en fin de semaine pour s’être fait remettre 345 000 euros par une paroissienne qui voulait faire «vœu de pauvreté».
- A Nantes, un curé se prenait pour la «banque du Bon Dieu»
Avec sa soutane noire, l’abbé G. ne dépareillait pas, jeudi soir, au milieu des robes des avocats et des magistrats du tribunal correctionnel de Nantes (Loire-Atlantique). L’homme, âgé de 68 ans, y comparaissait pour «abus de faiblesse» : il est soupçonné d’avoir détroussé une riche paroissienne qui voulait faire vœu de pauvreté en 2011. La dame a été exaucée, et même au-delà de ses espérances : en un an, elle a fait «don» de 345 000 euros à l’association cultuelle de Lépante, que préside le prévenu… Emanation locale de la Fraternité Saint-Pie-V, elle regroupe les «sédévacantistes», c’est-à-dire le courant le plus extrême de la dissidence catholique. Ses adeptes estiment que le siège du pape à Rome est vacant – sede vacante en latin – et dénient donc toute légitimité à celui qui l’occupe. En guerre contre l’évêché, ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour trouver des lieux de culte.
«Péchés»
C’est dans ce contexte que l’abbé avait lancé, fin 2011, un appel à ses ouailles pour racheter leur «chapelle du Christ-Roi»,un ancien hangar à bois du centre-ville de Nantes, qu’ils louaient depuis trente ans et qu’ils avaient transformé en«bastion de résistance au modernisme». Sa propriétaire, âgée de 97 ans, était morte en mai de cette année-là. «Savez-vous que vous pouvez tout perdre demain en raison de la crise économique sans précédent que nous traversons ?»interrogeait-il dans un mail enflammé à «ceux qui possèdent quelques économies en banque». «Je vous exhorte à placer votre argent dans la banque du Bon Dieu, en nous aidant généreusement.»
La «banque du Bon Dieu» avait donc ouvert grand ses portes à Agnès-Marie D. : cette infirmière à la retraite, aujourd’hui âgée de 67 ans, avait hérité de ses parents un bon nombre d’actions. «Elle a pratiqué des avortements par le passé, ce qui lui est insoutenable aujourd’hui, tente d’expliquer son avocate, Me Adèle Vidal-Giraud. Elle était dans l’urgence absolue de racheter ses péchés, sous l’influence de l’abbé.» En contrepartie de son «don», sa cliente croyait surtout qu’elle allait être «entretenue» par la communauté sédévacantiste «jusqu’à la fin de sa vie» en tant que «religieuse». «Je voulais faire vœu de pauvreté, mais pas non plus être une clocharde», a insisté jeudi la sexagénaire à l’audience. «Sans ça, je ne l’aurais pas fait : je ne suis pas cinglée non plus !» D’autant plus que le fisc lui réclame à présent 130 000 euros. L’ancienne fidèle a également été «meurtrie» par le fait que l’abbé «n’ait pas eu la décence» de lui dédier une messe, comme c’est d’usage avec les autres «bienfaiteurs» de la paroisse, selon Me Vidal-Giraud. Agnès-Marie D. ressent une«honte cuisante», selon son avocate : cet épisode a «décuplé son sentiment de culpabilité – pas au sens pénal du terme, mais au sens chrétien», selon Me Vidal-Giraud.
«Jamais je ne l’ai pressée ou suppliée de faire des dons : elle était toute heureuse de participer à l’achat et à la restauration de la chapelle du Christ-Roi», s’est défendu jeudi l’abbé. La plaignante – qui dit désormais toucher une petite retraite – est toujours «logée gracieusement» dans son ancienne propriété par «charité chrétienne», a-t-il souligné. Le prêtre sédévacantiste a en effet renoncé aux 50 000 euros d’indemnité qu’il voulait initialement lui réclamer pour son«occupation» indue des bâtiments de la communauté… D’ailleurs, lui non plus n’a «aucun revenu» et a «un compte [bancaire] de pauvre».
Legs
Reste que c’est l’association qu’il préside qui a acheté pour son compte un SUV Peugeot 3008 : il fait «5 000 kilomètres par mois» pour aller à la rencontre de ses fidèles. L’abbé est également à la tête de plusieurs sociétés civiles immobilières : ce «montage fiscal, tout à fait régulier, permet de récupérer la TVA» sur les travaux des différents bâtiments de sa communauté, a-t-il expliqué. Grâce aux legs, la communauté a ainsi pu reconstruire à Treillières, près de Nantes, la bien nommée Notre-Dame-des-Dons, une chapelle restée en ruine depuis la Révolution française. Les sédévacantistes ont aussi pu acquérir leur «école de la Providence», à Saint-Sébastien-sur-Loire.
Le curé nantais est surtout à la croisée de «véritables conflits d’intérêts», selon le procureur de la République : parmi les proches de la Fraternité Saint-Pie-V, un garagiste lui a vendu pour «85 000 euros de voitures en cinq ans», et un artisan a fait payer pour «50 000 euros» des travaux «de pas très bonne facture» qui en valaient plutôt «15 000»… Le parquet de Nantes s’est aussi «posé des questions» sur le cas d’une autre paroissienne, qui avait «donné» 266 000 euros à la communauté, mais dont «l’état de faiblesse» n’a finalement «pas été avéré».
En fin de compte, le procureur a réclamé dix-huit mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve de deux ans pour l’abbé Le représentant du ministère public veut par ailleurs l’obliger à indemniser la plaignante et lui interdire définitivement d’exercer toute fonction dirigeante dans une association comme celle qu’il préside.
La structure, quant à elle, risque une amende de 15 000 euros et la confiscation du Peugeot 3008 qu’elle a acheté pour son curé. Jugement attendu le 4 avril.
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