« Je souhaite de tout cœur des aveux, mais je sais qu’on n’en aura pas »
La deuxième journée du procès aux assises d’un quinquagénaire aura été marquée par la parole des trois enfants, qui ont chacun dénoncé les abus sexuels et les viols que leur père leur a fait subir.
Le procès d’un Nivernais de 56 ans, accusé de viols sur ses trois enfants, deux fils et une fille, s’est poursuivi lundi 4 janvier. L’après-midi a été marqué par différents témoignages : amis des enfants, pédopsychiatre, éducatrice, experts, mais surtout, la parole des enfants.
Une éducatrice, qui a rencontré la famille dans le cadre d’une action éducative en milieu ouvert (AEMO), vient à la barre. Elle raconte avoir eu un ressenti pendant sa mission : « J’ai eu le sentiment que le père avait une attitude inadaptée à l’égard de ses enfants. » La fille, Daphnée (tous les prénoms ont été modifiés), a réussi à lui parler des maltraitances. Le juge pour enfants est saisi, et Daphnée est placée chez sa mère.
L’éducatrice estime que le père est dangereux, et ressent un climat incestueux au sein du foyer : « Un papa qui se levait toujours tard, qui pouvait me recevoir en robe de chambre, des enfants toujours en pyjama. Des faits que j’ai repérés dans d’autres situations où il y avait des problèmes d’inceste. »
Après que sa fille fut placée chez son ex-femme, l’accusé aurait menacé cette même éducatrice. Elle poursuit en parlant de la mère des enfants : « Elle a sauvé sa peau. Aujourd’hui, on serait peut-être arrivé à un drame si elle n’avait pas pu sauver sa peau. Si elle n’était pas partie, je ne sais pas si tout le monde serait vivant aujourd’hui. »
Vous avez décidé d’avance de me flinguer, c’est navrant. On ne cherche pas la vérité.
L’ACCUSÉ
Des paroles qui ne conviennent pas du tout à l’accusé : « Dès le départ, j’ai eu la sensation d’avoir une personne inquisitrice, qui d’emblée m’a traité désagréablement. » Selon lui, les choses se sont détériorées à la suite de la venue de cette éducatrice. « J’ai eu du mal à tenir [les enfants]. »
L’avocat général, Paul-Édouard Lallois, s’adresse à l’accusé :
« Le point commun auquel arrivent tous les experts, c’est cette emprise paternelle. Le terme est là : aliénation mentale. On a là l’explication du pourquoi ils n’ont pas parlé plus tôt. Ils se refusaient de dire la vérité, de saisir les perches. Comment vous expliquez ça ?
– Je n’ai pas d’explication, je ne suis pas médecin ni psychiatre. Comment on quantifie l’emprise sur quelqu’un ? Je n’avais pas d’emprise ; ils faisaient ce qu’ils voulaient. Ils avaient une liberté que peu d’enfants ont.
– Ça, c’est vous qui le dites.
– Ils allaient tous au conservatoire.
– Reprenons ce point, l’éducatrice a dit qu’ils ne pouvaient pas lier des liens avec les autres.
– Je l’ai mauvaise. J’ai des photos.
– Parce qu’une photo, c’est la preuve ?
– Vous avez décidé d’avance de me flinguer, c’est navrant. On ne cherche pas la vérité.
– Vous êtes sur quel banc ?
– Je suis désolé, j’ai loupé mon bac.
– Ça ressort également la victimisation », termine l’avocat général.
Mensonges, menaces et attouchements
Ensuite, ce sont les enfants qui sont venus à la barre. Valentin a demandé le huis clos dans la matinée. Daphnée ne fait pas ce choix : « Je n’avais pas le droit d’en parler, sinon on risquait d’aller en prison, nous disait-il. Et il disait : ‘Si je vais en prison, qui va s’occuper de vous ? Surtout pas votre mère car elle est méchante.' »
Daphnée appelle son père par son prénom. Elle raconte qu’il l’aurait menacée de tuer son poney si elle partait vivre chez sa mère. « Lorsque il avait des compagnes, il ne me touchait pas. Je me disais que c’était normal. Quand mon beau-père dormais avec ma mère, ça ne m’a jamais heurté qu’il ne me touche pas. Quand elle a accouché, je suis resté un mois avec mon beau-père, et il m’a jamais touchée. J’en ai parlé avec une amie qui m’a dit que c’était pas normal, ce que faisait mon père. » C’est à partir de ce moment qu’une première procédure s’ouvre, mais qui est vite classée. « J’ai été traité de menteuse, ça m’a détruite. »
Il disait qu’il faisait mon éducation. La dernière fois, il a voulu pénétrer, et la douleur était tellement insupportable que je me suis retirée tout de suite.
LA FILLE DE L’ACCUSÉ
Elle raconte ensuite au président, que les abus sexuels ont commencé quand elle avait seulement cinq ans. « Je me souviens, il m’avait demandé un massage, j’étais en pyjama, il était nu. Il a commencé à me faire des caresses sur le pyjama et il a caressé mon sexe. Il a mis sa main dans mon bas de pyjama. » Elle raconte devant le président les différents attouchements, les fellations qu’elle dû faire. « Il disait qu’il faisait mon éducation. La dernière fois, il a voulu pénétrer, et la douleur était tellement insupportable que je me suis retirée tout de suite. »
L’avocat général l’interroge :
« Ce matin, votre frère a expliqué qu’il attendait des aveux de son père. Vous le souhaitez ?
– Je souhaite des aveux de tout cœur, mais je sais qu’on en aura pas.
– Qu’est ce que vous attendez de la vie ?
– Ça fait dix ans que je me bats pour me faire entendre. Je veux oublier ces dix ans et repartir faire ma vie et oublier toute cette merde. »
On n’est pas là pour emprisonner notre père, mais pour être écouté, être compris.
UN DES FILS DE L’ACCUSÉ
Après une courte suspension d’audience, c’est au tour de Christophe de venir à la barre. Ce dernier a admis avoir été victime de son père en décembre 2016 : « C’était impossible de mentir une fois de plus. Aujourd’hui, ma sœur, elle ne m’en veut plus, comme elle l’a dit. Mais moi, je m’en veux moi-même. Ça fait mal de devoir vivre comme ça. Pendant dix-huit ans j’ai été obligé de mentir, de me cacher dans cette carapace. On n’est pas là pour emprisonner notre père, mais pour être écouté, être compris. Qu’on ne soit plus pris pour des menteurs, qu’on puisse vivre, être écouté, que ce soit enfin reconnu. Ce sera pas une victoire demain. Le plus important c’est que lui, il le reconnaisse. Tant qu’il aura pas reconnu, je ne serai pas plus satisfait que ça. »
Christophe dit avoir subi des attouchements de 2009 à 2012. « Il se dirigeait vers sa chambre, il appelait mon prénom doucement puis de plus en plus fort jusqu’à ce que je l’entende, et il demandait un massage, soit du crâne, soit du dos. Quand c’était le dos, il se retournait, et là ça en venait aux faits. »
« Un poids qu’on va enfin lâcher »
L’avocat général lui demande : » Est-ce que le fait de porter serment pour la première fois vous conduit à parler ? Le fait que ce soit dans un palais de justice, devant un représentant de l’autorité judiciaire ? » Christophe répond : « Effectivement, c’est beaucoup de protocole qui fait que j’ai parlé. Mais aussi un ras-le-bol de moi-même, de l’image que je renvoyais, je n’étais quasiment plus sous l’emprise, à un moment ça fait du bien. Je suis sorti, j’ai pleuré toutes mes larmes. Il n’y a pas que le protocole, c’est surtout un poids qu’on va enfin lâcher. »
Face aux discours de ses enfants, l’accusé ne réagit pas. « C’est ses déclarations. » Le président souligne : « Il y a convergence dans les déclarations des trois enfants. » « Avant qu’il fasse sa déclaration au juge, il m’avait fait parvenir le lendemain un petit mot dans lequel il voulait porter plainte contre son frère pour ce harcèlement, car il n’en pouvait plus, il se sentait menacé. Il l’a dit à pas mal de monde. Je ne pouvais pas le contacter, je l’ai su par bribes de personnes. C’est une explication qui est la sienne, mais ce n’est pas ce qui correspond avec ce qu’il dit ailleurs », ajoute le père, qui pense que Christophe parle sous la menace de son frère.
Le procès se poursuit mardi 5 février. Le verdict est attendu dans la journée.
Anne-Charlotte Eveillé