LES ARCHIVES DU FIGARO – Le 18 novembre 1978, l’américain Jim Jones et les fidèles de sa secte se donnent la mort au Guyana: 914 victimes. Retour sur cette tragédie qui souleva une vague d’émotion et d’indignation aux États-Unis.
Un suicide collectif et un massacre. Le 18 novembre 1978 Jim Jones -de son vrai nom James Warren Jones- organise le suicide collectif au cyanure de sa communauté, Jonestown, installée au Guyana (ancienne Guyane britannique). Révérend protestant (de «l’Église chrétienne des disciples du Christ»), il devient le gourou d’une secte appelée «Temple du Peuple», installée d’abord à Indianapolis puis à San Francisco en Californie. Au total ce sont 914 personnes dont 276 enfants qui trouvent la mort ce jour-là. Jim Jones meurt d’une balle dans la tête.
Ce drame intervient après la fusillade, perpétrée par des adeptes de la secte, sur l’aéroport de Port Kaituma, contre les membres d’une commission d’enquête américaine, venus s’informer des agissements de la secte en question, soupçonnée de sévices, séquestrations et trafic d’armes. Elle est conduite par le représentant démocrate de la Californie, Leo Ryan. C’est précisément en raison de scandales survenus en Californie que Jim Jones est venu installer une communauté agricole dans la jungle équatoriale, emmenant une partie de ses adeptes -des centaines de personnes viennent attirées par la perspective d’un monde utopique. La réalité est tout autre pour elles.
Un choc pour les États-Unis
Au moment du suicide collectif certains fidèles parviennent à prendre la fuite dans la jungle. Mais ils sont sans vivres ni eau. Ainsi, les États-Unis dépêchent sur les lieux des hélicoptères, des avions-cargos et un nombreux personnels sanitaires, ainsi que des soldats pour participer aux recherches et assurer le rapatriement des corps des victimes. Le FBI est chargé de l’enquête sur la «tragédie de Jonestown». Le Figaro du 24 novembre 1978 indique que «huit cents passeports, environ 500 000 dollars en argents liquide et de nombreux lingots d’or ont été découverts dans les bâtiments de la communauté.»
Mais le journal révèle aussi d’affreuses informations sur cet évènement qui soulève une énorme vague d’émotion et d’indignation aux États-Unis, et notamment en Californie. Ainsi, «d’après les premiers témoignages toutes les victimes ne sont pas mortes empoisonnées au cyanure. Des membres de la secte totalement fanatisés ont ouvert le feu à coups de mitraillettes sur ceux qui ne voulaient pas respecter le “pacte de mort” signé lors de l’adhésion au Temple du peuple.» Le journal précise que «plusieurs des victimes auraient été contraintes sous la menace des armes d’absorber le poison mêlé à une boisson synthétique le “kool aid”, et versé dans une baignoire où chacun puisait.» De plus «des mères ont administré elle-même le poison à leur bébé.» Les premiers journalistes arrivés sur place découvrent des scènes d’horreur, une vision insoutenable: «un véritable amoncellement de corps enchevêtrés, aux visages tordus par les affres de la mort, autour de l’autel. À certains endroits le sol disparaissait sous des cadavres.»
Jim Jones a ainsi pu bénéficier d’importants appuis de politiques en échange de services rendus en période électorale.
Mais ce terrible fait divers soulève aussi un certain nombre de questions, dont les liens de Jim Jones avec des personnes politiques. En effet, le pasteur a été «patronné» (lettres de référence) par de nombreuses personnalités américaines, au moment où il cherchait à obtenir l’accord du gouvernement du Guyana pour implanter sa communauté agricole. Parmi celles-ci: la femme du président, Rosalyn Carter, le vice-président Walter Mondale, des sénateurs, le ministre de la Santé Joseph Califano, le maire de San Francisco et son prédécesseur. Ceci s’explique par le fait que Jim Jones a mis en place des œuvres charitables en Californie (un bienfaiteur des pauvres). Cela lui valut le soutien des hommes politiques de l’État. Le Figaro du 21 novembre 1978 mentionne qu’«il fut même sollicité pendant la campagne présidentielle de 1976 par les partisans de Jimmy Carter» et qu’il y participa activement. Il a ainsi pu bénéficier d’importants appuis de politiques en échange de services rendus en période électorale.
Voici le récit du Figaro quelques jours après le suicide: il évoque le pasteur, cette colonie -«un véritable bagne» et les incertitudes sur le devenir du gourou et de centaines fidèles. Le journal titre sur 400 cadavres à ce moment-là. Les jours suivants le bilan humain sera plus que doublé.
Article paru dans Le Figaro du 21 novembre 1978.
Guyana: 400 cadavres dans la jungle
Ce suicide rituel, ce sacrifice qui semble surgi du fond des âges, est le deuxième acte du drame qui s’était noué samedi sur la piste de l’aéroport de Port Kaituma. Cinq membres de la commission américaine venue enquêter en Guyana sur les activités de la secte du «Temple du peuple», fondée aux États-Unis par un ancien pasteur James Jones, avaient été abattus alors qu’ils s’apprêtaient à rapatrier une quinzaine d’adeptes.
Léo Ryan, membre de la Chambre des représentants (démocrate, Californie), qui dirigeait la mission, trois journalistes et un cameraman de télévision, tombaient sous les balles des fanatiques de la secte qui leur avaient tendu une embuscade. Huit personnes étaient blessées, dont un diplomate américain en poste en Guyana.
Soumission totale
Un massacre qui rappelait brutalement l’existence et les agissements d’une secte connue comme il en pullule aux États-Unis. Après Charles Manson, l’assassin de Sharon Tate, Jim Jones, fondateur du «Temple du peuple» prend place à son tour au triste palmarès des tueurs mystiques. Agé de 46 ans, marié et père de sept enfants, Jim Jones avait créé à 18 ans une première communauté à Indianapolis (Indiana).
Dans les années 50, il met sur pied en Californie le «Temple du peuple» dont le but avoué est d’abolir les classes sociales et de prôner la fraternité. Habile, éloquent, très doué pour la manipulation politique. Jim Jones compte bientôt parmi ses amis nombre de personnalités influentes de Californie.
Pourtant, les méthodes utilisées par ce singulier pasteur, qui vont du classique «lavage de cerveau» aux sévices corporels, ne tardent pas à provoquer l’inquiétude et les plaintes de nombreux parents. Jim Jones exige de ses fidèles une soumission totale, un travail harassant dont il encaisse les bénéfices, extorque les pensions et les donations. En août 1977, Jim Jones quitte San Francisco avec 1 200 de ses condisciples pour créer une communauté agricole au nord-ouest de la Guyana, près de la frontière vénézuélienne. Dans cette colonie perdue dans la jungle, et baptisée Jonestown, Jones va pouvoir donner libre cours à son goût de la tyrannie. Jonestown est en fait un véritable bagne. Les membres de la communauté, qui ont pour tâche de défricher sous un climat épuisant quelque 10 800 hectares de forêts, sont roués de coups sous le moindre prétexte, parfois jusqu’à la mort.
Pour entretenir le climat mystique, Jim Jones organise des séances publiques de fausses guérisons miraculeuses, de flagellations au cours desquelles les membres de la secte confessent des crimes imaginaires.
Une vingtaine de membres de la secte se placent sous sa protection et demandent à rentrer aux États-Unis. Il ne faut pas qu’ils parlent.
Pourtant, malgré l’éloignement, les plaintes continuent d’affluer aux États-Unis, et notamment en Californie dont de nombreux adeptes sont originaires. On parle aussi de trafic d’armes et de stupéfiants. C’est pourquoi le «représentative» Léo Ryan, 53 ans, alerté par de nombreuses familles de sa circonscription de San Francisco décide, au début du mois de novembre, de se rendre en Guyana à la tête d’une commission d’enquête comprenant huit journalistes, des avocats de la secte -dont Mark Lane, le défenseur de l’assassin de Martin Luther King- un représentant de l’ambassade américaine de Georgetown, et quatre parents d’adeptes du «Temple du peuple».
Les témoignages qu’elle recueille sont accablants. Une vingtaine de membres de la secte se placent sous sa protection et demandent à rentrer aux États-Unis. Il ne faut pas qu’ils parlent.
Déjà, lors de la visite du camp, un jeune homme avait tenté de poignarder Léo Ryan. L’agresseur avait pu être désarmé et le groupe avait regagné en toute hâte l’aéroport de Port Kaituma. Il est 16h20, heure locale, lorsque l’attaque se déclenche. Enquêteurs, journalistes et les membres de la secte qui ont abandonné Jim Jones s’apprêtent à monter à bord des deux appareils dont les moteurs tournent déjà. Cinq ou six hommes surgissent d’une remorque tirée par un tracteur et ouvrent le feu à bout portant. Léo Ryan, le journaliste Don Harris et le cameraman Robert Brown, de la chaîne N.B.C., Gregory Robinson, photographe au «San Francisco Examiner» et une Américaine, Patricia Park, que l’on pense être membre de la secte, sont abattus à bout portant. L’un des deux appareils parvient tout de même à décoller avec les survivants et donne l’alerte. Les morts et les blessés -une dizaine, dont deux grièvement- seront transportés le lendemain à Georgetown.
Dimanche soir, un avion militaire de l’U.S. Air Force rapatriait en Amérique les survivants de la tuerie. Le même jour l’armée guyanaise lançait une opération en direction de Jonestown. Gênée par la pluie torrentielle, elle mettra de longues heures à y parvenir. Elle n’y trouvera que des cadavres. On ignore si Jim Jones figure parmi les morts, ou s’il rôde encore dans la jungle, avec ses derniers partisans.
Par Pierre Gallerey
source :
Le Figaro
Par Véronique Laroche-Signorile
le 16/11/2018