Ce documentaire montre combien le penseur du XXè siècle eut raison trop tôt face aux idéologues et à ceux qui ne vont pas sur le terrain vérifier de quoi l’Histoire est faite.
Le demi-sourire est là, l’œil qui scrute son interlocuteur aussi, la pipe aux lèvres, et une fois celle-ci posée, la belle voix grave s’élance. Le premier plaisir procuré par ce documentaire consiste à revoir Raymond Aron s’exprimer. Aucun verbiage ni idéologie dans les extraits choisis mais ce qui ressemble cinquante ans après à du pur bon sens. « Le drame des hommes, c’est qu’ils ne savent pas que l’Histoire est tragique », assène le penseur du XXe siècle. Lui le sait d’autant mieux qu’il a assisté à la montée du nazisme en Allemagne pendant les années 1930, et qu’il a vu la majorité de ses camarades intellectuels monter dans le train du communisme, et ne pas en descendre, comme il l’a fait, face aux premiers crimes, camps et décisions totalitaires. On voit ainsi Aron avoir raison trop tôt face aux idéologues, aux militants et à ceux qui ne vont pas vérifier sur le terrain de quoi l’Histoire est faite.
Si la forme du documentaire laisse parfois à désirer, avec une structure uniquement biographique, cette heure passée au côté de ce grand lecteur constitue une bonne introduction à l’auteur de « l’Opium des intellectuels ». On comprend que la recherche de la vérité, en perpétuelle confrontation avec le doute, lui a permis de ne pas croire aux mensonges de son siècle. Ainsi, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, il a pu défendre la liberté de penser et de vivre, quitte à se fâcher avec Jean-Paul Sartre, avec le journal qui l’employait – « le Figaro » -, avec son milieu et ses amis. Pendant des années, il est celui qui a tort, qui crie dans le vide. Mais, jusqu’en Mai-68 – mouvement dont il a du mal à comprendre la nécessité -, l’Histoire finit à chaque fois par lui donner raison. Le téléspectateur de 2018 frémit à l’idée du sort qu’il pourrait faire aujourd’hui à la classe politique actuelle. Dans tous les cas, on ne trouvera pas de meilleure épitaphe que la dernière phrase qu’il a prononcée, face à des journalistes, devant le palais de justice, avant de mourir d’une crise cardiaque : « Je crois que je suis arrivé à dire l’essentiel… »
Samedi 20 octobre à 21h00 sur Public Sénat. Documentaire de Fabrice Gardel (2018). (Disponible en replay sur le site de Public Sénat).
Par Arnaud Sagnard