Depuis neuf mois, les autorités sanitaires observent une résurgence de la rougeole en France (3 morts et plus de 2 500 cas détectés depuis novembre 2017). Le retour de cette maladie très contagieuse est lié à un déficit de couverture vaccinale, elle-même en partie due à une défiance des parents à l’endroit des vaccins.
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La docteure en géopolitique Lucie Guimier a travaillé sur la dernière grande épidémie de rougeole, entre 2008 et 2012. Publié dans le cadre du rapport annuel de 2017 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), son travail montre que l’obligation vaccinale est peu respectée au sein de certains groupes religieux et de certaines communautés spirituelles.
Ce refus serait particulièrement fort au sein de la Fraternité Saint-Pie-X (catholique) ; le site de cette dernière comptabilise une soixantaine d’écoles « catholiques de tradition » en France. En cartographiant les données épidémiques de la rougeole à partir des données de Santé publique France, la chercheuse note une propagation de la maladie à partir des établissements de la Fraternité Saint-Pie-X.
Selon Lucie Guimier, « la dispersion rapide de la rougeole à l’échelle intrafamiliale dans le réseau d’obédience lefebvriste résulte de toute évidence d’une couverture vaccinale insuffisante des enfants de la communauté, des carences possiblement liées aux aspirations spirituelles de leur famille ».
Dans les faits, plusieurs écoles et centres de vacances de la Fraternité ont été des foyers de propagation de l’épidémie de 2008. La suite de l’enquête épidémiologique a permis d’identifier le patient zéro de l’infection, ajoute Lucie Guimier. Il s’agissait d’une élève d’origine suisse, qui n’avait pas reçu les deux doses du vaccin et qui, lors d’une visite familiale en Autriche, est entrée en contact avec un cousin infecté par la rougeole, lui aussi scolarisé dans un établissement affilié à la même communauté religieuse.
Pour les enfants nés avant le 1er janvier 2018, seuls trois vaccins – contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite – sont obligatoires pour qu’ils puissent être admis en crèche, à l’école, en garderie, en colonie de vacances ou dans toute autre collectivité d’enfants. Onze vaccins obligatoires sont en revanche désormais nécessaires pour les enfants nés après le 1er janvier 2018. Contactée, la Fraternité Saint-Pie-X ne nous a pas répondu.
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L’anthroposophie et les vaccins
Autre type d’établissements visé par la chercheuse : les écoles Steiner-Waldorf et leur doctrine fondatrice, l’anthroposophie, une mouvance créée au début du XXe siècle dans un esprit de retour à la nature (le mouvement possède notamment la majorité des droits de vote des laboratoires Weleda).
En 2015, l’Alsace avait dû faire face à une recrudescence de cas, dont une centaine dans l’école hors contrat Steiner-Waldorf Mathias-Grünewald, où plus de la moitié des élèves n’étaient pas vaccinés. Le virus avait été ramené d’Allemagne au mois de mars au cours d’un voyage scolaire.
« Sous l’effet de l’expansion du mouvement anthroposophique ces dernières années, de nombreuses études (…) menées après l’apparition d’épidémies de maladies prévisibles par la vaccination ont mis en évidence que les parents adeptes de ce courant de pensée sont moins enclins que les autres à vacciner leurs enfants », affirme Lucie Guimier. Une observation constatée en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Suède, en Suisse, en Autriche, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
Cependant, aujourd’hui, la Fédération rappelle sa position « très claire » en faveur du respect des règles vaccinales en vigueur. De fait, en France, on compte une trentaine d’établissements qui se revendiquent de cette pédagogie, et leur répartition dans l’Hexagone (plutôt dans le nord-est) ne correspond pas aux actuels foyers épidémiques (plutôt au sud-ouest).
La pédagogie Steiner n’est pas seule en cause, et d’autres écoles alternatives ont vu des cas de rougeole, affirme Lucie Guimier. Parmi les témoignages qu’elle a recueillis, certains parents d’élèves manifestaient une forte défiance envers la vaccination : « A l’école, les parents vont voir un médecin dans la Drôme (…). Ils ne vont pas là-bas pour obtenir l’avis de quelqu’un. Le médecin en question leur fournit des attestations de contre-indication pour ne pas faire vacciner les enfants au cas où la préfecture les contrôle », racontait ainsi l’un d’eux cité dans le rapport de Lucie Guimier.
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