Dans son petit village de l’Ardèche, Francis Gruzelle lit chaque jour les lettres que lui envoie Nathalie, sa compagne enceinte de 5 mois, incarcérée au Canada. Il saura jeudi prochain si la justice la remet en liberté.
DANS UN COIN du salon, le piano sur lequel jouait Nathalie Gettliffe est désormais recouvert par les dossiers que son compagnon Francis Gruzelle accumule sur cette affaire. Pêle-mêle, des attendus de jugements, des courriers d’avocats, des petits mots de soutien et surtout, les lettres de Nathalie, emprisonnée au Canada. Francis a reçu la dernière vendredi.
En la relisant, il s’inquiète de la santé de sa compagne, enceinte de cinq mois : « Nathalie parle de sa détention : petit déjeuner à 7 heures, déjeuner à midi, dîner à 16 heures. Elle garde un peu de nourriture à chaque fois pour pouvoir tenir toute la nuit. »
« Là-bas, on était obligés de prier tous les soirs »
Un médecin a dû la visiter à deux reprises suite à un risque de fausse couche. Elle ne peut toujours pas l’appeler : « J’ai de l’argent sur mon compte, écrit-elle, mais il faut encore que la prison achète une carte internationale pour téléphoner. J’avoue que je n’ai aucune idée sur le jour où je pourrai finalement te parler. » Francis supporte mal ce silence. Chaque jour est un combat. Il a lancé des poursuites en France et au Canada, alerté les médias, sensibilisé les responsables politiques de la région. Tout cela pour Maximilien, 12 ans, et Joséphine, 11 ans, les enfants de Nathalie et de son ex-mari canadien Scott Grant mais aussi pour Jean-Philippe, 9 mois, le petit qu’ils ont eu ensemble. Ce bébé qui, certaines nuits, « pleure jusqu’à 4 heures du matin. Nathalie l’allaitait encore le mois dernier avant de partir au Canada », confie Francis. Les aînés ont des mots très durs à l’égard de leur père, Scott Grant. Maximilien assène : « Il fait des choses mal, il met notre maman en prison alors que notre petit frère l’attend. Je veux rester ici en France. » La petite Joséphine n’est pas plus tendre : « Là-bas, on était obligés de prier tous les soirs avec les gens de la secte. Ce sont eux qui l’ont changé. » Francis peut compter sur la maman de Nathalie. Elle s’occupe du dernier-né et a pris la maison en main. Pour elle, si Nathalie a fui le Canada en 2001 avec ses deux enfants, « c’est pour les mettre à l’abri de l’influence néfaste de leur père. Nathalie a été poussée à bout par son mari qui appartient à l’Eglise internationale du Christ. Si elle était restée là-bas, il lui aurait enlevé les enfants et il l’aurait empêchée de vivre ». Un avis que partage Laetitia, la soeur de Nathalie qui rend souvent visite à Francis. Tous attendent jeudi prochain avec impatience. Ce jour-là, une juge de Vancouver annoncera la remise en liberté conditionnelle, ou non, de Nathalie. Ils espèrent qu’elle sortira de prison et pourra rentrer à la maison en attendant un éventuel procès. Aujourd’hui, après plusieurs années de bataille juridique, la famille en appelle aux autorités françaises. La grand-mère s’irrite : « Que le gouvernement s’implique. Il y a suffisamment de preuves pour qu’on comprenne que ce n’est pas une simple histoire de couple qui se déchire mais que derrière tout ça il y a une secte qui a poussé à bout ma fille. Elle est traitée comme une criminelle. J’ai peur qu’elle craque. » Francis renchérit : « On ne peut pas isoler une mère de famille de ses trois enfants, a fortiori si elle attend un bébé. » Le téléphone sonne. Il décroche : au bout du fil Jean-Louis, l’ami responsable de l’association de soutien créée voilà trois mois et qui compte aujourd’hui 450 adhérents et 3 000 sympathisants.
1987 : Nathalie Gettliffe rencontre Scott Grant lors d’un voyage au Canada. 1989 : mariage en France. Le couple s’installe à Vancouver, Nathalie y devient professeur de français.
1993 : naissance de Maximilien. 1995 : naissance de Joséphine. 1999 : Scott s’engage dans l’Eglise internationale du Christ, considérée en France comme une secte, mais pas au Canada. 2000 : divorce. 27 août 2001 : Nathalie fuit en toute illégalité le Canada avec ses deux enfants. Un mandat d’arrêt international est lancé. Elle risque dix ans de prison pour enlèvement et non-respect d’une ordonnance de garde. 2004 : une médiation internationale est lancée. 13 mars 2004 : le mandat d’arrêt est levé par la Cour suprême de Vancouver. 10 avril 2006 : Nathalie se rend au Canada dans le cadre de la médiation internationale pour finaliser les modalités de droit de visite des enfants. Elle est arrêtée à son arrivée puis relâchée ayant apporté la preuve de la levée du mandat d’arrêt international. 11 avril 2006 : Nathalie est arrêtée sur la base d’un nouveau mandat. 11 mai 2006 : décision de remise en liberté, ou non, de Nathalie Gettliffe.
Le Parisien , lundi 08 mai 2006