Entre fibre optique et fibre mystique, cette jeune femme est sans doute l’incarnation de l’Inde d’aujourdhui. Spécialiste de la communication pour de grands groupes indiens, Manisha Mehta est membre de “Art of Living” donne des cours Au Massachussetts Institue of Technology ( mit) et chez infosys. Son chemin la pousse à parcourir le monde pour parler de méditation et de paix intérieure. En attendant qu’un jour peut-être, celle-ci puisse régner à l’extérieur.

“Art of Living” l’appellation est suffisamment vague pour abriter toutes les descriptions…
Décrivez-nous en quelques mots votre organisation.?

C’est une association qui essaie de rendre meilleure la vie individuelle à travers la compassion, l’attention et l’amour. Nous le faisons à travers des projets visant à améliorer le cadre de vie des personnes dans différents pays du monde. Nous avons une organisation soeur en Europe qui s’appelle International assosciation of human values. Je travaille avec eux sur des projets dans le monde entier. Nous essayons de définir les besoins dans chaque pays où nous sommes et nous mettons en place des projets pour palier ces besoins. Par exemple, en Russie, il y a un énorme problème de drogue et d’alcoolisme.

Quel est votre constat des besoins de Maurice selon votre organisation ?
Je pense que nous pouvons aider dans le domaine du tourisme. Par exemple en organisant des ateliers de travail spécifiques sur le yoga et d’autres formes de bien-être comme la médecine ayurvédique. Le tourisme aujourd’hui est très axé sur ces sujets. Il y a des gens qui voyagent des milliers de kilomètres pour des vacances autour de ce thème. Nous pouvons établir les liens entre nos spas en Inde avec ceux d’ici afin de leur apporter d’autres connaissances. Les touristes sont maintenant très friands de massages. Il y a des Européens qui viennent en Inde que pour ce qu’on appelle le detox. C’est-à-dire des traitements pour se purifier le système interne. Se faire des régimes pour retrouver la forme.

Quel est l’intérêt d’organiser ce genre d’activités puisque selon vos statuts, vous êtes une “non profitable organisation”…
Tout l’argent que nous récoltons dans ce genre d’activités sert à financer des projets humanitaires. Nous avons, par exemple, un projet en Inde qui s’appelle les 5 H. Health, Hygiene, Home, Human Values and Harmony. Nous menons des projets concrets autour de ces 5 thèmes. Nous creusons des puits, nous plantons des arbres, nous travaillons avec les Nations unies pour les gens qui ont été affectés avec le tsunami en construisant des écoles et des dispensaires. En Inde seulement, nous nous occupons de 40 écoles en y dispensant une éducation gratuite avec l’aide de nos volontaires. Nous sommes structurés de la manière suivante. Nous avons un Board of Trustees où nous sommes tous des volontaires venant de tous bords. Le board principal est basé en Allemagne et il y a les membres des comités régionaux Art of Living de chaque pays pour centraliser toutes les informations sur tout ce que nous faisons dans le monde. Nous sommes, pour tout vous dire, une des plus grosses ONG dans le monde avec 146 bureaux.

A ceux qui vous apparentent à une secte que répondez-vous?
Non, nous ne sommes pas une secte. D’abord, vous êtes libres de partir quand vous voulez et vous ne devez aucune contribution financière à l’organisation. Et cela n’a rien à voir avec la religion non plus. Nous sommes une organisation de professionnels qui veulent aider des gens dans le besoin. Nous sommes ouverts à tous. Et tout ce que nous faisons est gratuit.

Vos programmes sont conçus pour créer “une meilleure paix, énergie et joie” quand vous vous attardez sur l’état du monde, vous n’avez pas l’impression de parler à des sourds ?
Je sais ce que l’on peut ressentir. Mais c’est notre vocation. Par exemple nous en entrain, en ce moment même, de travailler avec les forces de paix au Liban. Nous l’avons fait en Irak juste après les bombardements. Nous avons envoyés des médecins, des psychologues, qui se sont occupés notamment des gens traumatisés par la violence de la guerre. Nous travaillons aussi dans les bidonvilles du Brésil. Tout ça pour vous dire que nous faisons ce que nous avons à faire là où les hommes souffrent.

Vous êtes une professionnelle du marketing et on peut se demander ce qui vous a décidé un jour à devenir membre de “Art of Living”.
J’avais ce désir d’essayer d’aider les gens. Il y a cinq ans, j’ai visité la Russie et la Mongolie et j’y ai vu une telle pauvreté et une telle détresse que cela m’a bouleversée. Et je peux vous dire que, quelques années plus tard, j’ai vu une nette amélioration. Les gens avaient repris leur vie en main et c’était fantastique. C’est difficile à expliquer. Je me suis sentie tellement heureuse de cela. Demain, lorsque je mourrai, je pourrai me dire que j’ai essayé de soulager la souffrance et ce sera un bonheur pour moi. Les plus grandes récompenses, ce sont les sourires des gens qui retrouvent le goût de vivre, de s’aimer. Les gens vous rendent heureux.

“J’ai travaillé à New York après les attentats du 11 Septembre. C’était impressionnant de voir comment des milliers de New-Yorkais se sont tournés vers la méditation. Ils ont vu la vie avec d’autres yeux. Ils ont compris que la puissance de leur pays était toute relative. Que la force était ailleurs.”

Vous êtes une adepte de la méditation, vous allez y chercher quoi ?
J’y ai été d’abord pour combattre le stress. Le mien. Notre esprit est constamment traversé par toutes sortes de pensées, de réflexions, de jugements. Et cela, en permanence. Même quand nous nous reposons physiquement, notre esprit continue de tourner. La méditation, c’est simplement essayer d’augmenter l’espace entre deux pensées. Comment le faire? D’abord par la respiration. La plupart d’entre nous respirons mal et nous n’avons pas assez d’oxygène. Nous ne savons pas non plus expirer en faisant sortir notre stress. C’est une méthode très ancienne, vieille comme le monde, mais le monde moderne nous en éloigne. Juste avec cette technique de respiration, vous désintoxiquez votre corps et vous entrez naturellement dans un état de méditation. Beaucoup de gens pensent qu’aussitôt la respiration faite, la méditation commence. Ce n’est pas le cas. Comme en toute chose, il faut de la pratique. L’état complet de la méditation, c’est quand le corps, l’esprit et la conscience sont devenus sur un même niveau. Quand on atteint ce degré, c’est un état merveilleux. Quinze minutes dans cet état apportent plus de bien que 5 heures de sommeil. Cela vous revitalise.

Méditer, c’est entrer en soi, s’écouter ?
Oui. C’est de ça qu’il s’agit. Et c’est bien pour ça qu’il faut être initié de la bonne manière. On ne peut pas demander à un débutant de rester immobile pendant 20 minutes. Nos cours vous enseignent de techniques très simples qui vous apprennent à vous désintoxiquer de plusieurs années de stress. Puis lentement, nous commençons avec 5 minutes puis dix etc. Et puis lorsque vous y êtes habitué, vous entrez en méditation. C’est comme vous entrez vous asseoir dans une piscine. C’est doux et paisible. Je peux aujourd’hui méditer n’importe où. Dans un aéroport, au milieu des gens, dans un magasin. C’est devenu facile pour moi de me fermer rapidement à mon environnement et de rentrer dans ma sérénité.

Quand vous entrez en vous, êtes-vous content de ce vous voyez… ?
Quelle question difficile ! Oui, je pense que je suis heureuse, en tout cas, je ne suis pas troublée par ce que je sens et vois. J’ai 34 ans et je crois vivre ma vie selon ma conscience, selon ce qu’elle me dicte. Et quand je pense à cette vie, je me dis je que pourrais mourir maintenant que je n’aurais aucun regret. J’ai dû sans doute faire des choses pas bien, mais je m’attache à essayer de ne faire que du bien. Et cela me donne une sensation de bien-être. Depuis 10 ans, je sens cela très fort. Quand vous êtes connecté avec votre conscience, vous êtes connecté au monde et à tous les humains.

Dire à 34 ans “j’ai fini ce que j’avais à faire”, c’est un constat un peu triste…
Non. Il y a tant de choses à faire. Notre maître, Shri Ravi Shankar, m’inspire beaucoup. Il nous ouvre au monde et nous fait comprendre qu’il y a en nous des possibilités immenses et inépuisables. Il faut avoir quelqu’un qui vous inspire dans la vie. Mon maître est pour moi comme le vent sous mes ailes. Et il en est ainsi pour des millions de gens dans le monde. Il nous aide à nous trouver nous-mêmes et ainsi à changer le monde et la vie des autres.

Quand on vous parle du bonheur, savez-vous exactement de quoi il s’agit, au point de pouvoir le décrire ?
C’est vrai que chacun d’autre nous a, en quelque sorte, sa définition du bonheur. D’abord, il faut que je vous précise une chose. Je crois que je me sens vraiment en permanence dans un état sans doute proche du bonheur. Que je sois dans un grand hôtel ou dans la rue, je ferme les yeux et je suis connecté au monde de la sérénité.

Rien ne vous atteint ? Cela voudrait peut-être aussi dire que vous êtes insensible à tout…
Ce qui me touche, ce qui m’atteint, c’est d’écouter la détresse des personnes qui souvent viennent me parler. Je suis envahie de tristesse quand j’entends parler, par exemple, d’abus sexuels sur les enfants. Je me sens démunie et je sais en même temps que le bonheur ne pourra venir que de la main tendue à ceux qui souffrent.

D’être aimé, c’est peut être le début du bonheur…
Le début, le milieu, la fin ! Moi, je sens l’amour des gens partout dans le monde. Cela me rend à la fois heureuse et humble.

Vous êtes un spécialiste de la communication et vous l’avez sans doute constaté : plus elle se sophistique plus les conflits et la terreur gagnent du terrain…
La course est perdue d’avance ?
C’est un terrible paradoxe avec lequel il faut vivre. Je voyage beaucoup. Et vous savez comme moi, dans quel état est le monde avec ses guerres, ses souffrances. Pourtant, partout dans le monde, vous rencontrez des gens qui malgré tout ça, alors qu’ils sont dans la misère et au milieu de violences, savent encore rire, s’aimer et aimer les autres. C’est une chose qui m’a toujours frappée.

J’y ai beaucoup réfléchi : ce n’est pas que ces gens ne souffrent pas, mais ce qui les rend plus heureux, c’est qu’ils savent que le vrai sens de la vie n’est pas là. Ils sont en quête du vrai sens de cette vie qui est en nous. Et c’est ce qui leur permet d’être plus sereins. Et je sais aussi que ces conflits font que les gens qui vivent en traversant ces douleurs trouvent le vrai sens des choses. Vous voyez comment, même dans le malheur, il y a des choses à apprendre. Même le malheur vous fait progresser. Tout a une raison. J’ai travaillé à New York après les attentats du 11 Septembre.

C’était impressionnant de voir comment des milliers de New-Yorkais se sont tournés vers la méditation. Ce cataclysme les a emmenés d’un coup vers l’intérieur d’eux-mêmes. Ils ont vu la vie avec d’autres yeux. Ils ont compris que la puissance de leur pays était toute relative. Que la force était ailleurs. Nous n’avons pas de contrôle sur ce qui se passe. Mais ce que nous pouvons contrôler, c’est ce que nous allons en tirer. Comment allons- nous sortir grandis de l’épreuve.

Etre en harmonie, c’est être en harmonie avec soi ou avec quelque chose de plus impalpable ?
L’harmonie est de toutes les manières intérieure. Mais il faut aussi être conscient que l’harmonie n’est pas un état permanent inamovible qui ne craint rien. La souffrance des autres, la vôtre, vous ébranle et déstabilise cette harmonie. Il faut donc toujours y travailler. Ce qu’il faut dans la méditation, c’est d’essayer de devenir un témoin. De regarder les choses comme un témoin, avec détachement. C’est ce qui permet de dépassionner tout ce que vous voyez et entendez. C’est cette absence de passion qui vous fait voir les choses de manière plus claire.

Rester distant des choses, c’est aussi ne pas se sentir concerné…
Non, pas distant. Juste dépassionné. La nuance est importante. C’est comme regarder une pièce de théâtre. Vous suivez avec attention mais vous n’êtes que le spectateur, pas l’acteur. C’est pour cela d’ailleurs que vous comprenez bien la pièce. C’est parce que vous n’êtes que spectateur et vous n’essayez pas d’être acteur. Vous l’appliquez aussi à votre propre vie. A partir de ce moment vous devenez plus calme. Vous participez pleinement à la vie en vous gardant de ne pas vous laisser submerger par des émotions et qui vous font être sans cesse dans des hauts et dans des bas. Bien sûr, au début, c’est difficile. Mais au fur et à mesure que vous pratiquez la méditation, vous arrivez à regarder les choses avec distance et le calme s’installe. Vous devenez serein. Bouddha en est l’exemple parfait.

Garder la distance, c’est aussi courir le risque de voir s’étioler la nécessaire compassion envers les autres
Pas du tout. Au contraire quand vous êtes submergé par les émotions, vous perdez, en quelque sorte, vos moyens. Et cela vous empêche de réaliser des choses. L’émotion souvent vous pétrifie et vous empêche de faire ce qu’il faut faire.

L’Inde compte des milliers de sages, de pratiquants de méditation et possède le secret de tant de techniques d’introspection. Pourtant elle demeure un pays d’une grande violence. Cette contradiction vous paraît flagrante ?
Pas d’accord. Nous ne sommes pas un pays violent. Sinon, nous serions comme certains pays qui écrasent leurs voisins simplement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec eux. Je pense à Israël. Il y a des régions en Inde où ils y a des problèmes pour des raisons politiques. Comme le Gujerat par exemple.

“Quand je suis en méditation apparaît la conscience. C’est comme si le monde entier était en moi et moi dans le monde entier. On sent très fort, de manière évidente que l’on n’est pas un corps seulement. J’ai la sensation de m’ouvrir totalement, de recevoir la vie.”

Entre le matérialisme occidental et la spiritualité hindoue, n’y a-t-il pas en commun un désir de se présenter comme vérité absolue ?
On ne peut pas comparer. 90% du monde vit à travers le matérialisme et seulement 10% s’intéresse à la spiritualité. Mais c’est vrai que depuis quelques années, on note un regain d’intérêt pour la spiritualité. Les gens réalisant enfin que les choses matérielles seules ne pouvaient les amener au bonheur. C’est un phénomène mondial. Art of Living donne des cours aujourd’hui dans des universités comme le MIT.

Peut-on manipuler les gens à travers la spiritualité ?
Non. Impossible. La spiritualité, ce n’est pas la religion. La religion c’est la peau d’une banane, la spiritualité c’est la banane elle-même. La religion, tout le monde peut la pratiquer. C’est une série de rituels. La spiritualité, il faut faire un travail sur soi. C’est quelque chose de profond. Quand je donne mes cours à des top businessmen américains par exemple, je leur dis simplement que je suis un facilitateur entre la vie et la voie spirituelle. Je suis comme un alpiniste qui a gravi des centaines de fois une montagne. Il peut emmener un groupe par le chemin le plus facile où il n’y a aucun risque de se perdre. Mais c’est à l’autre de savoir s’il veut monter et si ça l’intéresse d’aller voir ce qu’il y a au sommet. Ce n’est pas à moi de vous convaincre qu’il faut aller au sommet. C’est parce que vous êtes convaincu de la chose que vous venez me voir. C’est très important cette précision.

L’état de méditation demande de faire le vide en soi pour atteindre ce calme dont vous parlez. Que reste-t-il quand le vide est fait en soi ?
Quand je suis en méditation, quand le vide est fait, apparaît la conscience. Je sens ma conscience qui enfle comme un ballon qui gonfle. C’est comme si le monde entier était en moi et moi dans le monde entier. C’est comme être connecté à l’univers. On sent très fort de manière évidente que l’on n’est pas un corps seulement. J’ai la sensation de m’ouvrir totalement, de recevoir la vie. Un immense sentiment de tranquillité. Votre rythme intérieur a épousé celui de l’univers. Les deux sont en harmonie.

Par Alain GORDON-GENTIL
    
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